Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 30 mars 2021

L'Iran signe un accord stratégique avec la Chine pour déjouer les sanctions américaines

0-50546.jpg

L'Iran signe un accord stratégique avec la Chine pour déjouer les sanctions américaines

par Michele Giorgio

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Tous deux dans le collimateur des Etats-Unis, Pékin et Téhéran ont signé hier l'accord de coopération de 25 ans dont on parle avec insistance depuis l'été dernier. La poignée de main entre le chef de la diplomatie de Téhéran, Mohammad Javad Zarif, et le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, en visite en République islamique, a sanctionné un pacte entre les deux pays que les médias chinois qualifient de "coopération stratégique, au niveau politique et économique’’. Lors des sommets iraniens, l'ambiance a été tout simplement euphorique. Les investissements de 400 milliards de dollars que la Chine va réaliser dans la République islamique en échange d'un approvisionnement avantageux en pétrole, ne sont pas seulement un moyen d'annuler partiellement les sanctions américaines qui étranglent l'économie iranienne. Ils montrent que l'Iran est capable de se défendre et de résister au blocus asphyxiant mis en place par l'administration Trump passée et que le nouveau président Joe Biden ne lèvera que si Téhéran fait des concessions majeures, et pas seulement sur ses ambitions nucléaires.

Pékin fait comprendre une fois pour toutes qu'elle n'a plus seulement des ambitions économiques au Moyen-Orient. Elle proclame qu'elle est prête à jouer un rôle de premier plan à la table de la relance du JCPOA - l'accord international sur le nucléaire iranien dont Donald Trump est sorti en 2018 - et à celles de la diplomatie régionale, en concurrence avec Washington. "La coopération entre l'Iran et la Chine aidera à la mise en œuvre de l'accord nucléaire par les signataires européens et au respect des engagements pris dans le cadre de l'accord", a déclaré le président iranien Hassan Rohani, espérant le soutien de la Chine contre l'unilatéralisme américain. Il y a quelques jours, Pékin a proposé d'accueillir un sommet international avec les Israéliens et les Palestiniens. "Pour que la région sorte du chaos et bénéficie de la stabilité, elle doit se libérer de l'ombre de la rivalité géopolitique des grandes puissances... Elle doit construire une architecture de sécurité qui réponde aux préoccupations légitimes de toutes les parties", a ensuite déclaré un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Traduction: nous sommes présents maintenant là aussi où il n’y a plus seulement les Américains (et les Russes) qui dictent leur volonté. Et ce n'est probablement pas une coïncidence si Wang est arrivé à Téhéran pour signer l'accord une semaine après le clash de la réunion d'Anchorage entre les États-Unis et la Chine. Une sorte de réponse sèche de Pékin aux intimidations de Washington.

Les projets à mettre en œuvre sont ambitieux. Des télécommunications au secteur bancaire, en passant par les ports et les chemins de fer jusqu'au système de santé. En échange, l'Iran vendra du pétrole à la Chine à des prix avantageux et en quantités suffisantes pour répondre aux besoins croissants de Pékin. Les deux pays coopéreront également sur le plan militaire en organisant des exercices conjoints. Le New York Times, qui a une vision américaine de l'accord, doute de la réalisation de nombreux projets tant que la question du programme nucléaire iranien n'est pas résolue: "Si l'accord nucléaire s'effondre complètement, écrivait-il hier, les entreprises chinoises pourraient également devoir faire face à des sanctions secondaires de la part de Washington".

En vérité, les critiques ne manquent pas, même en terres iraniennes où certains avertissent que trop d'espace et d'influence ont été accordés à la Chine. Mais Téhéran, en grande difficulté à cause de la pandémie et des sanctions économiques américaines, n'avait pas d'alternative à l'énorme investissement promis par la Chine. "Pendant trop longtemps, nous avons mis tous nos œufs dans le panier de l'Occident et cela n'a pas donné de résultats", a déclaré Ali Shariati, un analyste iranien, "maintenant si nous changeons notre politique et regardons vers l'Est, ce ne sera pas plus mal".

lundi, 29 mars 2021

Joe l’Endormi s’est réveillé : Syrie, Russie et Chine. Qu’est-ce qui va suivre?

1f92b1640d1df0b7906fb6e94310788b9b59a3c6c86d16bd6d5c2fda06fa4432.jpg

Joe l’Endormi s’est réveillé : Syrie, Russie et Chine. Qu’est-ce qui va suivre?

Par Giorgio Spagnol

Ex: http://ieri.be

Joe Biden a été surnommé "l’endormi" par Donald Trump. Quoi qu'il en soit, après seulement 30 jours de présidence, il s'est réveillé et a bombardé la Syrie. Le 25 février, Biden a ordonné de frapper la Syrie en réponse à des attaques à la roquette contre les forces américaines dans la région, suscitant l'inquiétude des législateurs démocrates car il n'avait pas demandé l'autorisation nécessaire au Congrès.

Le 16 mars, M. Biden a accusé Poutine d'être un "tueur" et l'a averti qu'il "paierait le prix fort" pour l'ingérence présumée des services russes dans les élections américaines.

Le 18 mars, la première réunion de haut niveau entre les États-Unis et la Chine sous la présidence de M. Biden s'est ouverte à Anchorage, en Alaska, les deux parties s'échangeant des injures dès le début.

flat,750x,075,f-pad,750x1000,f8f8f8.jpg

L'état des lieux

La frappe contre la Syrie a suscité des critiques de la part des députés, qui ont reproché à la Maison-Blanche de ne pas les avoir informés à l'avance. Le site bombardé n'était pas spécifiquement lié aux tirs de roquettes contre les Américains, mais était simplement censé être utilisé par les milices chiites soutenues par l'Iran qui ciblent les forces américaines en Irak. Reuters a cité des rapports locaux selon lesquels au moins 17 personnes avaient été tuées dans le bombardement, tandis que l'Observatoire syrien des droits de l'homme a fait état de 22 morts.

La Russie a nié les allégations d'ingérence, formulées de longue date. Les Russes ont dit qu’elles étaient sans fondement et ont déclaré que leur ambassadeur quittait les États-Unis et qu'il discuterait des "moyens de rectifier les liens entre la Russie et les États-Unis, qui sont en crise" à son arrivée à Moscou. Il a ajouté que "certaines déclarations irréfléchies de hauts responsables américains ont mis les relations, déjà excessivement conflictuelles, sous la menace d'un effondrement".

Le 18 mars, Poutine a répondu au commentaire de Biden, qui le posait comme un ‘’tueur’’, en disant "il en faut être un pour en connaître un autre", ajoutant qu'il souhaitait à Biden une ‘’bonne santé’’ (il convient de mentionner que Biden a survécu à deux anévrismes cérébraux à la fin des années 1980 et que son état s'est ensuite compliqué d'une thrombose veineuse profonde et d'une embolie pulmonaire). Quoi qu'il en soit, Poutine a mis Biden au défi de tester ses facultés dans un débat en ligne.

Poutine a fait remarquer que la Russie continuerait à coopérer avec les États-Unis lorsqu'ils soutiennent les intérêts de Moscou, ajoutant que "beaucoup de personnes honnêtes et décentes aux États-Unis souhaitent la paix et l'amitié avec la Russie." Mais après ce tac au tac, les relations entre les États-Unis et la Russie ont été en chute libre. En adoptant une position ferme à l'égard de la Russie, M. Biden a déclaré que l'époque où les États-Unis se pliaient à Poutine était révolue.

La réunion entre les hauts fonctionnaires américains et chinois a été entachée d’une série de réparties mordantes entre les deux superpuissances, les envoyés des deux pays échangeant des critiques acerbes sur la gouvernance et les défauts de l'autre.

Le début des discussions de deux jours à Anchorage, en Alaska, a été marqué par les propos du secrétaire d'État américain Antony Blinken, qui a déclaré à ses homologues chinois que les États-Unis allaient faire part de leurs "profondes préoccupations" concernant les politiques de la Chine au Xinjiang, à Hong Kong et à Taiwan.

biden_GYu9iFw-crop-c0-5__0-5-1340x828-70.jpg

La Chine, représentée par le ministre des affaires étrangères Wang Yi, a répliqué que les États-Unis et la Chine avaient chacun leur propre style de démocratie et que Pékin s'opposait fermement à l'ingérence de Washington dans ses affaires intérieures, ajoutant que les relations avec la Chine devaient être fondées sur le respect mutuel.

Les États-Unis ont ensuite publié une déclaration accusant la Chine de faire de la figuration et de prononcer un discours d'ouverture qui a largement dépassé les deux minutes initialement convenues.

Plus tard, lors d'un briefing suivant la réunion, des responsables chinois ont déclaré que les États-Unis avaient lancé des attaques déraisonnables contre les politiques intérieure et extérieure de la Chine en ajoutant : "Ce n'est pas une manière d’agir car elle n’est pas conforme à l'étiquette diplomatique".

Biden et la Russie

En janvier dernier, le vice-ministre russe des affaires étrangères, M. Ryabkov, avait accusé l'administration du président Joe Biden de "russophobie", déclarant qu'il s'attendait à ce que les relations avec les États-Unis aillent "de mal en pis".

Les relations entre Moscou et Washington se sont détériorées ces dernières années sur des questions telles que la saisie par la Russie de la région ukrainienne de la Crimée en 2014, son rôle dans les guerres dans l'est de l'Ukraine, en Syrie et en Libye, son ingérence présumée dans les élections aux États-Unis , et une série de cyberattaques majeures imputées aux Russes.

La Russie, bien qu'incapable d'agir comme une grande puissance mondiale, est la quantité qui, en jetant son poids sur la balance, peut être décisive, grâce à son formidable arsenal nucléaire, dans le match entre les États-Unis et la Chine.

La Russie existe et résiste en tant qu'empire depuis au moins six siècles. C'est un État puissant armé jusqu'aux dents, dirigé par un leader charismatique sans opposition, mais bien conscient qu'il ne peut pas se précipiter seul dans des aventures militaires contre des voisins comme les États-Unis ou l'OTAN.

L'espace, la culture et l'ambition impériale permettent à Moscou de disposer d'une élite russe dotée d'une ambition géopolitique. En raison de sa position géographique, la Russie est un élément central de la sécurité en Eurasie, son territoire étant contigu à toutes les grandes zones de crise dans le monde.

dddbidenchine.jpg

Biden et la Chine

Les liens économiques, géopolitiques et sécuritaires entre les régions du Pacifique occidental et de l'océan Indien ont créé un système stratégique dans lequel l'océan Indien a remplacé l'Atlantique en tant que corridor commercial le plus fréquenté et le plus important sur le plan stratégique, transportant deux tiers des expéditions mondiales de pétrole et un tiers des marchandises en vrac.

Environ 80 % des importations de pétrole de la Chine sont acheminées du Moyen-Orient et/ou de l'Afrique via l'océan Indien. L'Indo-Pacifique devient ainsi le centre de gravité économique et stratégique du monde. Les intérêts, les capacités et les vulnérabilités de la Chine s'étendent à l'ensemble de l'océan Indien et c'est pourquoi la Chine a établi en 2017 une énorme base navale militaire à Djibouti, dans la Corne de l'Afrique.

Les liens stratégiques entre la Chine et la Russie

La Chine et la Russie entretiennent actuellement des relations difficiles avec les États-Unis suite à l'imposition de droits de douane à la Chine et aux sanctions infligées à la Russie. Pour la première fois, les deux grandes puissances sont considérées comme "révisionnistes, concurrentes stratégiques et rivales" dans la série des documents stratégiques américains de 2017 et 2018.

La Chine et la Russie ont récemment envoyé des messages forts par le biais de mesures telles que des patrouilles stratégiques aériennes conjointes et la critique commune de l'unilatéralisme américain.

Il convient de mentionner que lors de deux événements distincts, la Russie et la Chine ont publiquement annoncé une nouvelle ère de diplomatie entre les deux pays: avec l'exercice Vostok 2018 et l'exercice Joint Sea 2019, la Russie et la Chine ont signalé à l'Occident qu'elles travaillent plus étroitement ensemble pour faire contrepoids à l'"impérialisme" américain.

3fb4a5f8-b802-11e8-b64d-19e275708746_1280x720_143245.jpg

En particulier, Vostok 2018, un exercice militaire russo-chinois de grande envergure, a impliqué plus de 300.000 soldats, 1.000 avions et plusieurs navires de guerre, tandis que Joint Sea 2019 a impliqué de nombreux sous-marins, navires, avions, hélicoptères et marines des deux pays.

Ce qui lie ces puissances entre elles, c'est leur accord sur la nécessité de réviser le statu quo. La Russie essaie tant bien que mal de reconstituer son aire d’influence du temps de l'Union soviétique. La Chine n'a pas l'intention de se contenter d'un rôle secondaire dans les affaires mondiales, pas plus qu'elle n'acceptera le degré actuel d'influence des États-Unis en Asie et le statu quo territorial qui y règne.

Les dirigeants des deux pays sont également d'accord pour dire que la puissance américaine est le principal obstacle à la réalisation de leurs objectifs révisionnistes. Leur hostilité à l'égard de Washington et de son ordre est à la fois offensive et défensive: non seulement ils espèrent que le déclin de la puissance américaine facilitera la réorganisation de leurs régions, mais ils craignent également que Washington ne tente de les renverser en cas de discordes durables au sein de leurs pays.

C'est pourquoi ils tiennent dûment compte de la devise divide et impera (diviser pour régner) qui est née de besoins pratiques: Rome, matériellement, ne pouvait pas faire face à son ennemi lorsqu'il était uni.

Biden pousse-t-il la Chine et la Russie à se rapprocher ?

Les relations sino-russes sont principalement façonnées par la pression exercée par les États-Unis sur ces deux États.

L'évolution de la politique américaine à l'égard de la Chine - qui s'éloigne de tout engagement pour se rapprocher de la stratégie du néo-contrôle - a survalorisé la coopération potentielle plus étroite entre Moscou et Pékin, devenu l’ennemi principal. Les relations sino-russes se sont particulièrement épanouies dans des domaines tels que l'opposition politique et normative envers l'Occident, l'énergie, la sécurité, le nucléaire et l'espace.

Parallèlement, la rhétorique anti-américaine de Xi Jinping a commencé à ressembler à celle de Vladimir Poutine. La Russie et la Chine ont également amélioré leur position au sein du système des Nations unies, notamment en se faisant élire au Conseil des droits de l'homme.

Biden avait prévu de tendre la main à l'Union européenne afin d'apprivoiser l'influence de la Chine au niveau régional et mondial. Ces plans ont été compliqués par la décision de l'UE d'aller de l'avant avec un nouvel accord d'investissement avec la Chine quelques semaines seulement avant que Biden n’entre en fonction.

Actuellement, la politique intérieure russe offre un terrain fertile pour des relations plus étroites avec Pékin: le Kremlin ne considère pas que la puissance croissante de la Chine sape sa légitimité intérieure ou menace la survie du régime, tandis que la Chine apprécie également le soutien de la Russie.

C'est cet alignement normatif qui illustre le plus clairement leur position anti-occidentale. Il est certain que la Chine et la Russie considèrent que les problèmes internes de l'Occident (Brexit, manifestations de Black Lives Matter, etc.) légitiment davantage leurs propres régimes.

Considérations

Si vous êtes président des États-Unis, vous ne pouvez pas dire "Poutine est un tueur". Vous ne pouvez pas le dire, vous n'êtes pas obligé de le dire. Trump, le président des excès, ne l'avait pas dit non plus. L'attaque vise aussi à faire barrage à tout achat du vaccin russe Spoutnik V. Est-ce aussi une façon détournée d'imposer subrepticement des sanctions contre toutes les entreprises de l'UE qui participent à l'achèvement du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l'Allemagne?

338d0636-354a-11eb-8d89-a7d6b31c4b8a_image_hires_051224.jpg

Les relations des États-Unis avec la Chine ont plongé à leur point le plus bas depuis la visite de Nixon dans l'État communiste dans les années 1970. Les liens entre les États-Unis et la Russie sont, quant à eux, à leur point le plus difficile depuis la chute de l'Union soviétique.

Toute tentative de faire ouvertement fléchir le pouvoir au sein de deux puissances nucléaires constitue une action extrêmement dangereuse. C'est dangereux lorsque les hommes les plus puissants du monde, dont les doigts peuvent presser les boutons déclenchant le feu nucléaire, se retranchent dans des impasses rhétoriques et risquent ainsi une épreuve de force entre superpuissances.

Malgré la fanfaronnade de Biden, "L'Amérique est de retour", les États-Unis sont affaiblis par deux décennies d’offensives et de retraits au Moyen-Orient, par leurs divisions politiques paralysantes et par les pires réponses apportées à une pandémie mondiale.

Et la Chine s'est hérissée d'une déclaration conjointe des États-Unis et du Japon cette semaine, qui fait partie d'un effort de l'administration Biden pour créer un front uni d'alliés afin de contrer la puissance économique, stratégique et militaire de la Chine et de forcer Pékin à accepter des règles internationales que la Chine rejette comme étant une tentative de limiter son pouvoir.

Conclusion

Après qu'une foule a pris d'assaut le Capitole américain, Xi et Poutine se demandent probablement: "Est-ce là la nation dont nous devons avoir peur ? Est-ce là la nation qui veut être l'exemple paradigmatique de la démocratie et qui veut exporter sa démocratie dans le monde entier ?".

Biden aura sûrement du mal à convaincre la Chine et la Russie qu'il s'agissait d'un événement isolé, passager, et que la démocratie américaine est plus forte que jamais. Il aura encore plus de mal à les convaincre qu'une Amérique aussi divisée est, malgré tout, consensuelle, cohérente et unie, prête à faire face à toute menace extérieure possible et à diriger le monde.

Biden devrait définir une stratégie d'équilibrage avec la Chine avant que les deux nations ne dépassent les limites de ce que les cercles stratégiques appellent la "nouvelle guerre froide" pour entrer dans un véritable conflit direct, faisant ainsi entrer dans la réalité le fameux "piège de Thucydide".

Nous ne pouvons qu'espérer que la situation fortement concurrentielle entre les États-Unis et la Chine se retrouvera très vite entre des mains plus sereines. Après tout, ce qui met réellement en danger la paix et la stabilité mondiales, ainsi que l'avenir des relations entre les États-Unis et la Chine, ce n'est pas une "concurrence stratégique" entre les deux grandes puissances, mais l'incertitude résultant d'une concurrence dans laquelle aucune des deux puissances ne suit les règles du jeu traditionnelles, mais se comporte arbitrairement en fonction de son seul intérêt personnel, lequel est très étroitement défini.

En résumé, la Chine peut aujourd'hui compter sur la Russie, le plus grand pays du monde qui s'étend sur la masse continentale eurasienne. Les deux principaux acteurs ‘’orientaux’’ sont à bien des égards complémentaires: la Russie possède des ressources naturelles, des sciences fondamentales et des armes; la Chine possède des capitaux, des technologies commerciales et des industries lourdes. La Russie a un problème de sous-population, la Chine le contraire. Un principe ancien "l'ennemi de mon ennemi est mon ami" lie Pékin et Moscou.

L'une des leçons de la politique étrangère américaine de ces dernières décennies est que les plans élaborés à Washington ne survivent souvent pas au contact avec le monde extérieur. Et il n'est pas certain que les alliés des États-Unis adhèrent à la stratégie Biden: comme je viens de le souligner, ils ont envoyé un signal en concluant un accord commercial avec la Chine juste avant que Biden ne prenne ses fonctions.

Copyright © 1998-2017 IERI (Institut Européen des Relations Internationales) - Tous Droits Réservés

URL source : http://ieri.be/fr/publications/wp/2021/mars/sleepy-joe-ha...

Liens :

[1] http://ieri.be/fr/category/tags-working-paper/europe

[2] http://ieri.be/fr/category/tags-working-paper/f-d-ration-...

3] http://ieri.be/fr/category/tags-working-paper/usa

4] http://ieri.be/fr/category/tags-working-paper/syst-me-int...

[5] http://ieri.be/fr/category/tags-working-paper/affaires-eu...

[6] http://ieri.be/fr/category/tags-working-paper/d-fensestra...

vendredi, 26 mars 2021

La 6G, bataille technologique sino-américaine décisive pour la suprématie mondiale

Welcome-6G.png

La 6G, bataille technologique sino-américaine décisive pour la suprématie mondiale

par Catherine Delahaye

Ex: https://www.ege.fr

La technologie 5G, dont les spécifications ont été publiées en juin 2020 par l’organisation internationale de normalisation 3GPP (3rd Generation Partnership Project)[1], et la future 6G, qui devrait être effective dans une petite dizaine d’années,[2] sont primordiales pour contrôler les communications tant civiles que militaires, récolter et exploiter une quantité de données toujours plus croissante ; elles sont également stratégiques dans la conquête de l’espace. Et selon une étude sud-coréenne, le marché économique de la 5G+ (la 5G et les futures générations de technologies mobiles) représentera mille milliards USD d’ici 2026.

La notion de route de la soie digitale a été présentée pour la première fois dans un livre blanc chinois en 2015. Partie intégrante de la Belt and Road Initiative (BRI), la technologie de télécommunication mobile n’est cependant pas représentée par une simple ligne tracée sur une carte du monde à l’instar des routes de la soie terrestres et maritimes. C’est surtout, aux yeux du gouvernement chinois, la promesse d’un véritable maillage d’un territoire sans frontières.

Aux Etats-Unis, la technologie est vue à la fois comme l’instrument de puissance par excellence, comme l’indice du niveau de puissance et comme la variable d’ajustement stratégique. De là naîtront des inventions déterminantes pour la géopolitique américaine : l’Arpanet (Internet), le GPS et les drones. Lancée durant le mandat de Donald Trump, la Diplomatie de la technologie et de la science décrit la vision politique américaine appliquée aux nouvelles technologies : faire progresser la liberté par la technologie ainsi que mettre la science et la technologie au premier plan dans la politique étrangère afin d’assurer la sécurité et la prospérité des États-Unis. Parmi les actions de cette diplomatie, figure le 5G Clean Networks : visant à créer un réseau 5G sécurisé et fiable et à protéger les frontières numériques, il s’impose désormais au monde puisqu’en octobre 2020, il fut adopté par 40 pays et 50 opérateurs de télécommunications, dont 25 des 30 alliés de l’OTAN.

La rivalité Chine / États-Unis a évolué depuis 2018[3] et ne s’est jamais autant exprimée ouvertement que ces dernières années. Cependant, les enjeux de télécommunications étaient sur la table dès le départ. Au travers de ce leadership technologique dont les télécommunications mobiles grand public ne sont qu’une des faces visibles, la Chine vise la suprématie mondiale en évinçant les États-Unis et, par-là, les valeurs qu’ils portent en matières politique, économique et sociétale.

La Chine aux commandes des normes mondiales

Dans le secteur des télécommunications co-existent plusieurs organismes internationaux de normalisation tels que le 3GPP, l’ITU (Union Internationale des télécommunications, membre onusien influent auprès du 3GPP) et l’ISO (Organisation Internationale de Normalisation).

6G-ok.jpg

Il existe également des instances de normalisation régionales ou nationales ; ainsi par exemples, l’ANSI (Institut national de normalisation américain), la NTIA (Administration nationale des télécommunications et information) et la FCC (Commission fédérale des communications) aux États-Unis, la SAC (Administration de normalisation chinoise) et la CCSA (Agence chinoise de normalisation des télécommunications) en Chine. Il est intéressant de remarquer une brique américaine au sein de cette agence : Qualcomm, via sa filiale chinoise, en est l’un des membres. Ces organismes n’ont généralement que peu de liberté face aux standards internationaux : uniquement dans le cadre des parties manquantes/des options offertes par la norme, à moins de ne pas adopter la norme au niveau national.

Les représentants du secteur (instances nationales, fabricants de puces, autres industriels et équipementiers télécoms, opérateurs…) se réunissent au sein de ces organismes internationaux pour étudier, négocier et établir les normes qui seront ensuite appliquées dans tous les pays. Ainsi, les membres du 3GPP se réunissent trois fois par an pour définir les aspects techniques (features) et les dénominations correspondantes à utiliser, chacun disposant d’un droit de vote égal. Selon des acteurs interrogés,[4] il y a toujours des débats soutenus lors des réunions de standardisation au sein de ces instances internationales.

Dans les faits, les normes sont principalement écrites et promues par les grands équipementiers. Chacun pousse ses propres solutions, le but étant d’avoir un leadership technologique et économique. En effet, les détenteurs de brevets dits « essentiels »[5], utilisés dans une norme peuvent prétendre à des royalties et ont un meilleur accès au marché car ils peuvent fabriquer les équipements nécessaires avant même que leurs concurrents commencent à y réfléchir.

A ce jour, la Chine maîtrise parfaitement les organismes internationaux du secteur. Ainsi, le haut fonctionnaire et ingénieur chinois, Houlin Zhao, a entamé son deuxième mandat de quatre ans le 1er janvier 2019 à la direction de l’ITU. L’IEC (Commission électrotechnique internationale) comprend 188 membres chinois répartis au sein des différents comités techniques, soit le plus grand nombre de représentants à égalité avec la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suède et le Japon, les Etats-Unis avec 171 membres étant au 19è rang.

Cette coopération internationale n’existait pas à l’époque de la 2G et de la 3G, d’où les problèmes d’interopérabilité des systèmes. Par exemple, à l’époque de la 3G, un appareil américain ne fonctionnait pas à l’étranger en raison de normes différentes, et vice versa.

Si la 4G et la 5G sont devenus des standards mondiaux par l’entremise de ces instances internationales de normalisation, rien ne permet, à ce jour, d’affirmer qu’il en sera de même pour la 6G. Alors que les instances de normalisation n’ont encore fixé aucune feature de la 6G, les centres de recherche, les universités et les acteurs industriels de la 5G travaillent déjà depuis plusieurs années sur des technologies et des applications qui pourraient un jour relever de cette 6G, renversant ainsi les rôles entre instances de normalisation et acteurs industriels. C’est d’ailleurs l’un des risques pour la 6G.

2020_7$largeimg_104486961.jpg

Les enjeux technologiques de la 6G

Pourtant, la 6G n’en est encore à ses débuts. Selon un livre blanc publié par l’Université finlandaise d’Oulu, elle doit surmonter plusieurs obstacles techniques en matière de recherche fondamentale, de conception du matériel et d’impact environnemental avant d’être commercialisée.

Ce que les scenarii de films de science-fiction ont imaginé il y a des années, la 6G le permettra. Parmi les améliorations de la 6G est envisagée une latence extrêmement faible, notamment nécessaire aux performances des marchés financiers, des véhicules autonomes, de l’intelligence artificielle, de la médecine et de la défense... Si la 5G réduit aujourd’hui la latence à 5 millisecondes, la 6G pourrait la réduire à moins d’une milliseconde. C’est le pari qu’a fait Cisco en décembre 2019, en rachetant Exablaze, spécialiste de la faible latence. Le débit sera bien plus élevé que celui de la 5G (de 10 à 8000 fois selon les premières estimations). Ainsi, les applications que la 6G semble pouvoir rendre réelles sont nombreuses :

  • Les machines équipées de caméras alimentées par la 6G seraient capables de traiter des données avec des résolutions, des angles et des vitesses inimaginables ; et ainsi connaître la position exacte d'un objet terrestre, maritime ou aérien et le contrôler à distance deviendrait un jeu d’enfant.
  • Des puissances de calcul démultipliées en exploitant au mieux les ressources de l’intelligence artificielle ; et ainsi gérer en temps réel la multitude de données et d'informations exponentielles, nécessaires à une prise de décision.
  • La réalité virtuelle augmentée permettrait d’afficher des hologrammes volumétriques à taille réelle, en interaction possible avec l’original physique : tout pourrait être reproduit numériquement et à taille réelle ; un moyen aussi d’explorer et de surveiller la réalité dans un monde virtuel, sans aucune contrainte temporelle ou spatiale.
  • Utilisée dans l’espace, elle unifierait les modes de transmission entre satellites et réseaux terrestres et aussi couvrirait les océans.

« À l'ère 6G, nous verrons des applications qui non seulement connecteront les humains aux machines, mais également les humains au monde numérique, assure Peter Vetter, responsable de la technologie au sein du centre R&D Bell Labs. Une connexion aussi sécurisée et privée peut être utilisée pour des soins de santé préventifs ou même pour créer un réseau 6G avec un sixième sens qui comprendrait intuitivement nos intentions, rendant nos interactions avec le monde physique plus efficaces et anticipant nos besoins, améliorant ainsi notre productivité. »

6g.jpg

Plusieurs visions techniques s’affrontent, par exemples celles de Huawei et Google. L’enjeu de l’une comme l’autre de ces solutions reste un accès facile aux données stockées grâce à la 6G, afin qu’elles puissent être transformées en intelligence (sécurité, machine learning, transports -la Chine a pour objectif une complète automatisation des autoroutes pour 2028).

Ainsi, Huawei a une vision très centralisée de la gestion des données : construire des smart data centers utilisant l’intelligence artificielle, solution la plus simple et la moins chère, car déjà existante pour la 5G. Wang Ruidan, directeur adjoint du Centre national des infrastructures scientifiques et technologiques, a déclaré lors d’un forum à Pékin dédié à la recherche scientifique numérisée que « le partage, l’analyse et la gestion des données sont essentiels pour l’innovation scientifique et technologique à l’ère du big data. »

La vision de Google est totalement à l’opposée. Grâce au Google Mistral+, un data center miniaturisé sur quelques centimètres carrés, l’intelligence est distribuée entre plusieurs milliards de machines interconnectées.

L’Europe : terrain de confrontation sino-américaine ?

La confrontation sino-américaine sur le territoire européen est déjà présente au travers des nouvelles associations interprofessionnelles et projets en rapport avec la 6G qui se sont développés dans les milieux universitaires, industriels et publics.

Ainsi, l’Université d’Oulo en Finlande a mis en place le 6G Flagship, écosystème de recherche et de création conjointe pour l’adoption de la 5G et l’innovation 6G, programme nommé par l’Académie de Finlande, une agence gouvernementale de financement de la recherche scientifique de haute qualité. Le budget total du programme de huit ans est de 251 M EUR. En septembre 2019, le 6G Flagship a publié le premier livre blanc 6G au monde intitulé Key Drivers and Research Challenges for 6G Ubiquitous Wireless Intelligence. Mehdi Bennis, professeur agrégé à l’Université d’Oulu, déclare que « la normalisation ne commencera pas avant 2028, et [que] nous sommes donc en train de préparer le terrain pour les besoins de cette génération ».

Le 6G Flagship organise un sommet annuel international depuis 2019. Le 2è sommet s’est tenu virtuellement en mars 2020 autour d’experts du monde entier, y compris la Chine et les États-Unis. Côté chinois, industriels et universitaires se sont relayés dans les présentations : ZTE, Huawei, l’Institut de recherche de China Mobile, l’Université des sciences et technologies de Hong Kong et l’Université de Tsinghua. Côté américain, ce sont essentiellement des universitaires qui sont intervenus : Cornell University, Northeastern University, Columbia University, Rice University ainsi que deux acteurs industriels : RF Communications Consulting & Eridan Communications et Intel.[6]

istockphoto-1171132157-1024x1024.jpg

Les opérateurs s’emparent de la 6G et leurs jeux d’influence se déploient également au sein des associations professionnelles existantes. Basée en Allemagne, notamment membre du 3GPP et de la GSMA[7], l’alliance NGMN (Next Generation Mobile Network) est une initiative fondée en 2006 par les principaux opérateurs de réseaux mobiles mondiaux. Elle revendique plus de 80 membres, acteurs de l’industrie et de la recherche en télécommunications mobiles. Environ un tiers sont des opérateurs mobiles, ce qui totalise plus de la moitié des abonnés mobiles au niveau mondial. Les autres membres sont des fournisseurs et fabricants représentant plus de 90 % du marché mondial du développement de réseaux mobiles, ainsi que des universités ou des instituts de recherche privés. Parmi eux, peuvent être cités de nombreux acteurs chinois et américains tels que : China Mobile, Huawei, ZTE, T-Mobile, Intel, Mavenir, Qualcomm et Johns Hopkins University.

En octobre 2020, l’alliance a lancé un nouveau projet, Vision and Drivers for 6G, élaboré pour insuffler une orientation dans les recherches et applications 6G auprès de toutes les parties prenantes. Il facilitera également les échanges d’informations entre les membres et les parties prenantes concernées.

Au niveau de l’Union européenne, le consortium Hexa-X, dédié à la 6G et opérationnel depuis janvier 2021, entre également dans le terrain de confrontation entre Etats-Unis et Chine. Le projet s’inscrit dans Horizon 2020, le programme-cadre de recherche et d'innovation de l'Union européenne (80 milliards EUR d'investissement sur sept ans). Nokia en est à la tête aux côtés d’Ericsson et d’une vingtaine de laboratoires de recherches et d'entreprises, tous acteurs européens du secteur. L’influence américaine s’infiltre cependant dans le projet : les Etats-Unis y sont représentés via le fabricant de puces Intel.

Sur le front américain : la course à l’armement a commencé

Les Etats-Unis restent à la traîne dans la 5G. S’ils sont présents dans les routeurs avec Cisco, les transmissions optiques avec Ciena, les puces avec Qualcomm et les smartphones avec Apple, ils ne disposent plus d’équipementiers mobiles. Les trois grands acteurs dans ce domaine, Nortel, Motorola et Lucent Technologies, ont tous disparu lors des transitions vers la 3G puis la 4G.

Ainsi, malgré la multitude d’acteurs industriels et numériques américains, les États-Unis sont conscients d’avoir perdu la bataille de la 5G. Ils essaient de limiter les pertes en utilisant l’extra-territorialité de leur droit et leur longue pratique de la communication d’influence auprès de leurs alliés historiques, plus particulièrement pour promouvoir la défense de la démocratie, en soutenant le club des « techno-démocraties » en zone Indo-Pacifique, Taïwan, Japon et Corée du sud, et contrer la montée en puissance de la Chine, jugée « techno-autoritaire ».

depositphotos_250184486-stock-photo-future-communications-fast-technology-6g.jpg

En février 2019, Trump indiquait dans un tweet vouloir développer la 6G dès que possible.[8] Néanmoins, l’Administration américaine n’en a fait un élément essentiel de souveraineté et de sécurité nationale que récemment et n’avait jusqu’alors pas débloqué de budget pour soutenir les actions R&D des acteurs du secteur.

En septembre 2020, le cabinet de conseil BCG publiait une étude à l’attention des décideurs politiques américains afin de les encourager à se concentrer sur cinq facteurs clés critiques (le réseau, le spectre, l’innovation R&D, le climat et les talents humains). Ils souhaitaient aussi s’assurer que les États-Unis aient un avenir minimum dans l’industrie des télécommunications, ces mêmes cinq thématiques étant elles aussi étudiées par les Chinois. « J’ai l’impression que nous nous sommes enthousiasmés sur d’autres choses comme l’intelligence artificielle et les progrès logiciels comme le cloud, déclarait le professeur Tommaso Melodia, directeur de l’Institut des objets sans fil de l’Université Northeastern, en novembre 2020. Nous avons pris le sans-fil comme un acquis et nous nous rendons maintenant compte, avec la pandémie, que toute notre économie dépend de la recherche sur les communications. Nous ne pouvons pas tenir cela pour acquis ; la Chine ne l’a pas fait. » Peter Vetter confirme que « cette technologie est si importante qu’elle est devenue dans une certaine mesure une course à l’armement. Il faudra une armée de chercheurs pour être compétitif. Contrairement à la 5G, l’Amérique du Nord ne laissera pas la Chine prendre le leadership. »

Dans les faits, il est vrai que seuls les universitaires américains travaillent sur la 6G depuis 2018. Par exemple, en 2019, NYU Wireless luminary Ted Rappaport, un des premiers partisans de la 5G dans le spectre d’ondes millimétriques, a publié un article sur la 6G dans les fréquences supérieures à 100GHz. Également en 2019, la FCC a approuvé des expériences dans le spectre au-dessus de 95GHz. Et en 2020, la Spectrum Innovation Initiative de la NSF (Agence nationale pour recherche scientifique fondamentale) a commencé à préconiser un nouveau Centre national de recherche sur le spectre sans fil (SII-Center) pour « aller au-delà de la 5G, de l’IoT et des autres systèmes et technologies existants ou à venir afin de tracer une trajectoire assurant le leadership des États-Unis dans les technologies, systèmes et applications sans fil à venir, en science et en ingénierie, grâce à l’utilisation et au partage efficaces du spectre radio. »

Aujourd’hui, les États-Unis ont commencé à dresser des lignes communes pour le combat 6G.

En février 2021, Apple annonce recruter des ingénieurs télécoms pour « faire partie d’une équipe définissant et effectuant des recherches sur les normes de prochaine génération comme la 6G ».

nextg-1078x516.png

L’ATIS (Alliance for Telecommunications Industry Solutions), a lancé la Next G Alliance en octobre 2020 pour « faire progresser le leadership nord-américain en matière de 6G ». Les membres de l’alliance comprennent des géants (Google, Apple, Facebook, Microsoft), des opérateurs mobiles (AT&T, Verizon, T-Mobile), des fournisseurs de technologies et de logiciels (Ciena, Qualcomm, VMware) ainsi que Nokia, Ericsson et Samsung considérés comme des alliés. Les sujets traités vont de la réalité augmentée, à la communication entre machines inférieure à la milliseconde, aux données toujours plus concentrées et accessibles, au développement des interfaces cerveau-machine comme celles de Neuralink, société fondée par Elon Musk. Cette initiative servira également à influencer les priorités de financement de l’Administration américaine et les mesures qui soutiendront l'industrie technologique. La Présidente d’ATIS, Susan Miller, souhaite que l’Administration, la communauté universitaire américaine et l’industrie américaine du secteur travaillent en partenariat public-privé pour accélérer le développement de la 6G. Plus précisément, l’ATIS demande un financement fédéral et des crédits d’impôt pour la R&D 6G, ainsi que plus de spectre et de zones de développement dans le pays.

En Chine : l’expansionnisme sur terre et dans l’espace

La Chine compte plus d’abonnés 5G que les États-Unis, non seulement au total mais par habitant. Plus de smartphones 5G y sont commercialisés, et à des prix plus bas. La couverture 5G est plus répandue et les connexions en Chine sont, en moyenne, plus rapides qu’aux États-Unis.

Alors qu’à l’heure actuelle la Chine compte près de 700 000 stations de base 5G à travers son territoire (les Etats-Unis ne disposant pas d’une centaine de milliers), elle compte en construire plus de 600 000 nouvelles au cours de l’année 2021 a annoncé le ministre chinois de l’Industrie et de l’Informatisation, Xiao Yaqing, en décembre 2020 lors d’une conférence. Selon les estimations de Wu Hequan, membre de l’Académie chinoise d’ingénierie, le nombre total de stations de base 5G en Chine pourrait même atteindre plus de 1,7 million d’ici la fin de l’année prochaine.

China-Mobile-5G.jpeg

Et la crise sanitaire de la COVID-19 ne va pas stopper cette expansion nationale et internationale. Bien au contraire, durant la session annuelle du Parlement en mai 2020, le Premier ministre a clairement indiqué que le plan de relance chinois passerait notamment par le développement de nouvelles infrastructures numériques et centres de données.

Malgré plusieurs embargos et moratoires commerciaux, les entreprises chinoises ont encore leur mot à dire dans le marché des équipements et technologies mobiles. Huawei apparaît clairement comme le chef de file de l’industrie 6G en Chine. Fin septembre 2019, Ren Zhengfei, PDG fondateur de Huawei, affirmait que cela faisait « entre trois et cinq ans que son groupe travaillait sur la 6G ». Il ajoutait que même si l’entreprise travaillait simultanément sur la 5G et la 6G, elle en était au début et avait encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la commercialisation ne commence. Les recherches chinoises sur la 6G passent aussi par l’Europe et le continent américain. Selon les médias locaux, Huawei dispose d’un centre de recherches 6G au Canada et a lancé, à Sophia Antipolis en France, une chaire de recherche sur la 6G avec l'école d'ingénieurs Eurecom. « Les Etats-Unis placent leurs espoirs dans la 6G. Mais en matière de recherche 6G, Huawei mène le monde » avait affirmé Ren Zhengfei dans une interview au New York Times en 2019.

D’autres entreprises chinoises participent également à cette R&D 6G. China Unicom, l’un des trois plus grands opérateurs chinois, a mis en place dès 2019 un groupe de recherche axé sur les communications Térahertz, l’une des technologies de base pressenties pour la 6G.[9] En mai 2020, ZTE s’est associé à China Unicom pour développer la 6G et « promouvoir la fusion profonde entre le 6G et les réseaux satellites, l’IoT, l’IoV (Internet des véhicules) et l’Internet industriel ». En juin 2020, Huawei a annoncé avoir conclu un partenariat stratégique avec China Unicom et Galaxy Aerospace pour développer une solution d’intégration air-espace-sol pour la 6G. Par ailleurs, Huawei s’attaque à la région Indo-Pacifique en commençant par l’Australie, l’un des alliés historiques des Etats-Unis mais également signataire du RCEP. En effet, le Sydney Morning Herald a récemment indiqué que Huawei voulait entamer des discussions avec le gouvernement australien sur la meilleure façon de collaborer à la R&D 6G et d’éviter une répétition de l’interdiction de la 5G. « La discussion que nous voulons maintenant avoir avec le gouvernement australien est : Que faisons-nous lorsque la 6G sera là ? Parce que Huawei ou une autre entreprise chinoise sera définitivement leader dans ce domaine. » a précisé Jeremy Mitchell, directeur des affaires commerciales de Huawei en Australie.

La Chine semble véritablement en tête de cette course technologique à la 6G

Elle a commencé la recherche autour des technologies 6G dès 2018 avec l’ambition de déployer la 6G en 2029. Dès novembre 2019, le ministère des Sciences et des Technologies a créé deux groupes de travail pour mener des recherches sur la 6G et valoriser les travaux de Huawei déjà menés sur ce sujet. Le premier groupe est composé des ministères concernés chargés de promouvoir la R&D 6G dans le pays ; le deuxième groupe, Objectif 2030, rassemble trente-sept spécialistes issus d’universités, d’institutions et d’entreprises. Le Vice-Ministre Wang Xi des Sciences et des Technologies a déclaré que la voie technique pour la 6G reste floue et a souligné que les indicateurs clés et les scenarii d’application n’ont pas encore été standardisés.

unnamed6Gsat.jpg

Le lancement d’un satellite 6G par l’agence spatiale chinoise le 6 novembre 2020 en est une première concrétisation. Connu sous le nom de Tianyan-5, le satellite de télédétection a été développé par l'Université des sciences et technologies électroniques de Chine qui a travaillé avec Chengdu Guoxing Aerospace Technology et Beijing MinoSpace Technology. Il va permettre de vérifier les performances de la technologie 6G dans l’espace car sa bande de fréquence s’étendra de la fréquence des ondes millimétriques 5G à la fréquence Térahertz. Ils espèrent ainsi pouvoir étudier le comportement de cette technologie depuis l’espace et tester la communication entre un satellite et le sol terrestre : un moyen d’améliorer la couverture Internet mais aussi d’unifier les modes de transmission entre les satellites, les réseaux terrestres et de couvrir toute la planète, océans inclus. Le satellite devrait également permettre de surveiller et de détecter les catastrophes naturelles comme les incendies de forêt mais sera aussi utile pour superviser les ressources forestières, surveiller la conservation de l’eau. On peut cependant aisément imaginer bien d’autres motifs de surveillance.

Les lignes de combat sont également alignées côté chinois. En mars 2021, comme chaque année, l’événement China’s Two Sessions permet aux dirigeants des plus grandes entreprises technologiques chinoises de rencontrer les membres du gouvernement pour définir une politique commune. Cette année, les propositions des géants du web, entre autres Tencent, Xiaomi, Baidu et Lenovo, font écho aux objectifs du gouvernement en matière de 6G, d’intelligence artificielle, de conduite autonome ou encore d’informatique quantique.

Conclusion

A l’instar du Royaume-Uni qui contrôlait la planète en tenant la mer au 19è siècle, la puissance qui dominera la 6G dirigera le monde du 21è siècle. Mais cette bataille sino-américaine de la 6G sera-t-elle la dernière pour la suprématie et un nouvel ordre mondial ? Il reste une dizaine d’années avant que la 6G ne se concrétise et obtienne un certain potentiel de profits pour les opérateurs et industriels télécoms, mais il est certain que le premier pays à détenir des brevets technologiques 6G gagnera. La 6G promet des applications stratégiques dans les domaines militaire et civil. De l’Internet of Things, elle va nous faire passer à :

  • l’Internet of Senses, des technologies qui permettent de « communiquer numériquement le toucher, le goût, l’odorat et la sensation de chaleur ou de froid » ;
  • et à I’Internet of Behaviors, des technologies qui analyseront, imiteront et géreront sans cesse nos modes de fonctionnement et de pensée.

Pour l’instant, les États-Unis et la Chine sont surtout impliqués dans une démonstration musclée, sur leurs territoires mais également dans le reste du monde, avec des batailles d’annonces médiatiques et des organisations structurées en parallèle pour obtenir le leadership dans ce qui sera le prochain système de communication sans fil au monde, ou la prochaine révolution industrielle.

Cependant, les observateurs du secteur craignent de plus en plus que la rupture géopolitique entre les États-Unis et la Chine ne finisse par casser le travail sur la norme 6G créant ainsi une version américaine et une version chinoise de la technologie qui ne seraient pas interopérables. Si, tel qu’il apparaît aujourd’hui, la Chine reste en avance dans la recherche 6G, Pano Yannakogeorgos, expert du New York University’s Center for Global Affairs, craint que les États-Unis ne repartent sur l’ancien système différencié en créant leurs propres normes.

Le monde pourrait alors se retrouver coupé en deux, avec deux standards de communication différents, l’un dominé par les Chinois, l’autre par les Américains.

Catherine Delahaye.

jeudi, 25 mars 2021

Biden : exporter la démocratie par d'autres moyens

200902-biden-editorial.jpg

Biden : exporter la démocratie par d'autres moyens

par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/

La guerre froide est-elle de retour? Non. Réponse de Biden lors de l'interview télévisée à la question sur Poutine. Vous connaissez Vladimir Poutine. Le fait de répondre "oui" n'aurait pas vraiment été une gaffe, mais plutôt l'expression claire des directives fondamentales de politique étrangère qui seront suivies par le nouveau président américain. En fait, la politique étrangère de Biden est en parfaite continuité et cohérence avec celle de ses prédécesseurs démocrates, Clinton et Obama. L'unilatéralisme américain, l'interventionnisme politique et militaire avec l'implication des pays alliés, la primauté de l'Amérique dans le monde, la défense des droits de l'homme et surtout du système économique et politique néolibéral au niveau mondial.

La guerre froide est née dans un contexte historique très différent. Celle de l'opposition politique, militaire et idéologique entre les deux puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale: les États-Unis et l'URSS. Mais dans le contexte géopolitique actuel, issu de la fin de l'URSS, les Etats-Unis de Biden ne reconnaissent que la seule Chine comme puissance mondiale légitimement habilitée à dialoguer (même si c'est dans une position conflictuelle) avec les Etats-Unis. La Russie de Poutine n'est pas considérée comme une puissance mondiale par les États-Unis, au contraire de l'ex-Union soviétique. En effet, la Russie de Poutine a été définie par Obama comme une "puissance régionale". La politique de Poutine a toujours eu comme objectif stratégique le retour de la Russie au rôle de protagoniste sur la scène géopolitique mondiale et son interventionnisme politique et militaire au Moyen-Orient en défense de la Syrie, avec la défaite d'Isis, a produit des résultats importants. C'est pourquoi Poutine a toujours aspiré à établir avec les États-Unis une "relation d'égal à égal", prélude à un "retour à Yalta", ou à un tournant dans la géopolitique mondiale inspiré par un multilatéralisme entre puissances continentales capable de déterminer un nouvel équilibre des forces et d'assurer ensuite la sécurité dans les différentes régions du monde déchirées par des conflits récurrents. Les États-Unis de Biden, en revanche, ne font pas mystère de leur intention de préserver l'unilatéralisme et donc la primauté américaine dans le monde.

Traiter Poutine de "killer" est un acte d'hostilité ouverte de la part de Biden à l'égard de la Russie, qui rejoint, dans une continuité cohérente, la déclaration de Reagan dans les années 1980 à propos de l'URSS, alors définie comme un "empire du mal". La russophobie a toujours été inhérente à la politique américaine, et l'agressivité extrême de la déclaration de Biden est en parfaite conformité avec la conception propre à l'Ancien Testament, où un peuple élu est appelé à combattre le mal, incarné par l'ennemi absolu du jour. Cette inspiration biblique a présidé à la fondation des États-Unis et à leur expansion dans le monde. Giorgio Gaber a dit dans sa chanson America: "En dessous, il y a toujours un peu de western. Même dans les hôpitaux psychiatriques, ils arrivent à y mettre des Indiens".

En réalité, la déclaration de Biden envers Poutine trouve sa raison d'être dans l'ingérence mise en place par Poutine, en soutien à Trump, lors des récentes élections présidentielles. En particulier, Biden s'est senti offensé par la manœuvre de propagande perpétrée par Trump en collaboration avec Rudy Giuliani, qui impliquait le fils de Biden, Hunter, qui avait été nommé au conseil d'administration de Burisma Holding, une société ukrainienne d'extraction de gaz. L'ingérence des médias dans la politique intérieure des États, dans un monde interconnecté, est devenue la norme. Mais cette déclaration de Biden, d'une hostilité ouverte et agressive envers la Russie, dans un climat d'urgence pandémique mondiale, a une signification très spécifique. L'administration Biden, outre la crise de la pandémie, doit faire face à de très graves problèmes intérieurs. L'assaut contre le Congrès par les partisans de Trump est une expression claire des divisions internes du pays. De tels contrastes pourraient faire courir un risque de déstabilisation aux institutions démocratiques américaines elles-mêmes. En outre, n'oublions pas les fréquents et inquiétants épisodes de conflits raciaux qui affligent la société américaine. Reste le problème des flux migratoires, avec des milliers de mineurs retenus devant le mur le long de la frontière avec le Mexique, mur érigé par Trump, mais, on l’oublie, préalablement proposé par Clinton et Obama. Le problème du retrait des troupes américaines d'Afghanistan n'est toujours pas résolu. Aux problèmes de la crise économique déclenchée par la pandémie s'ajoutent ceux de l'agitation sociale croissante et des inégalités toujours plus grandes. Biden n'a même pas réussi à faire adopter par le Sénat le projet de loi visant à augmenter le salaire minimum.

EwnyDdUXAAEkqkj.jpg

Par conséquent, la tirade agressive de Biden contre Poutine, doit être interprétée comme une action destinée à distraire les masses, mise en place afin de détourner l'attention de l'opinion publique américaine et des partenaires internationaux, vers le danger d'un ennemi extérieur à vaincre. En fait, la politique impérialiste américaine a toujours été légitimée par la préfiguration médiatique d'un ennemi contre lequel il faut se défendre, d'un "axe du mal" réel ou présumé, ou de la défense contre les "États voyous". Un ennemi absolu et irréductible, c'est-à-dire qui s'attaquerait à la démocratie, à la liberté, aux droits de l'homme, à la sécurité intérieure des USA. Des valeurs dont la défense justifierait la suprématie américaine dans le monde.

Dans cette perspective, tout en condamnant l'ingérence de la Russie dans la politique américaine, le discours médiatique dominant reste silencieux sur les interventions américaines directes ou indirectes visant à déstabiliser les États dirigés par des régimes jugés incompatibles avec les intérêts stratégiques américains. À cet égard, il faut mentionner l'assassinat du général iranien Soleiman en Irak, perpétré sous le présidence de Trump, le printemps arabe en Afrique du Nord et les révolutions colorées comme celle d'Ukraine, organisées, financées et soutenues militairement par les États-Unis afin de déstabiliser la Russie. Outre le soutien qui a déterminé jadis la montée d'Eltsine en Russie, le seul régime russe qui, subordonné à l'Occident et corrompu jusqu'à la moelle, jouissait de la faveur des États-Unis. Les États-Unis sont en effet le seul pays légitimement habilité à accorder des brevets de démocratie et de respect des droits de l'homme à tous les pays du monde.

La politique étrangère de Biden est interventionniste, et se distingue en cela de l'"America frist" de Trump. Nous assistons en fait à la recomposition de l'OTAN en Europe dans une fonction antirusse. Le multilatéralisme, ainsi que la vocation atlantiste énoncée par Biden, consiste précisément à impliquer les alliés, dans un cadre strict de subordination, dans les stratégies expansionnistes américaines. L'Europe est également déchirée par l'action désintégratrice menée au sein de l'UE par les pays du pacte de Visegrad, dont la souveraineté revendiquée ne représente rien d'autre qu'une politique pro-atlantiste en opposition ouverte à la Russie. De nouvelles sanctions sont brandies contre la Russie, dans lesquelles les pays de l'UE seront également impliqués et en subiront les conséquences économiques. En réalité, les États-Unis veulent empêcher la construction de Nord Stream 2, un gazoduc qui, via la Baltique, devrait approvisionner l'Europe en gaz russe. Il est clair que les États-Unis veulent isoler la Russie en coupant progressivement ses relations avec l'Europe. Les États-Unis veulent donc remplacer la Russie en tant qu'exportateur de gaz et de pétrole de schiste vers l'Europe. Ce projet signifierait également la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis des Américains. L'objectif de la politique américaine est d'isoler et de marginaliser la Russie. La politique de sanctions, le soutien à l'opposition interne, notamment la campagne médiatique menée pour le respect des droits de l'homme liée à l'affaire de la tentative d'assassinat du dissident Navalny, la condamnation du régime autoritaire russe, la campagne visant à criminaliser Poutine lui-même, sont des manœuvres qui ont un but bien précis : la déstabilisation interne de la Russie, en tant que puissance hostile à l'expansionnisme de l'OTAN à l'est. La politique étrangère de Biden est en parfaite continuité avec la stratégie d'expansion américaine vers l'Eurasie, autrefois théorisée par Brzezinski. Biden est donc le nouvel architecte de cette même politique d'exportation de la démocratie par d'autres moyens, comme la propagande et les sanctions.

Ce n'est pas par hasard que l'agressivité américaine renouvelée à l'égard de la Russie est reproposée justement au cours de la crise de la pandémie. Il existe en fait aussi une géopolitique des vaccins. Les Etats-Unis, à travers les sanctions et l'isolement de la Russie, veulent empêcher la diffusion du vaccin Spoutnik V, déjà adopté par 50 pays dans le monde et ainsi préserver le monopole et les méga-profits du Big Pharma anglo-saxon. Le rôle monopolistique assumé par les multinationales américaines et britanniques en Europe, d'ailleurs renforcé par le co-intérêt de l'Allemagne, est une preuve évidente de l'existence d'un vaccin atlantiste dont l'UE est l'esclave. Alberto Negri déclare à cet égard: "Poutine est un killer selon Biden. Que fera-t-il si l'UE devait acheter le vaccin russe ? Nous bombarder comme l'Irak? En 2003, Biden a voté pour l'attaque contre Saddam qui a ouvert la boîte de Pandore au Moyen-Orient. Ce vote a dévoilé ce qu'est Biden".

L'Europe, orpheline de l'atlantisme sous la présidence de Trump, a appelé de ses voeux un retour au multilatéralisme américain. Mais un tel multilatéralisme, posé comme idéal, se transforme inévitablement, pour l’Europe, en une participation au titre de vassaux subalternes, voire au titre d’appendice colonial, instruments commodes pour faire avancer la politique impérialiste américaine en Eurasie. Or, d'un point de vue géopolitique, l'isolement et la marginalisation de la Russie entraînent également l'isolement et la marginalisation de l'Europe dans le contexte mondial. Et seule une Europe non atlantique pourrait d'ailleurs désamorcer les objectifs stratégiques des Etats-Unis. En effet, l'Europe, par l'établissement d'accords de collaboration politique et économique avec la Russie, pourrait contribuer à la création de nouveaux équilibres géopolitiques, basés sur la sécurité de la zone eurasienne et moyen-orientale.

dimanche, 21 mars 2021

L’Empire américain agite l’arme des « droits de l’homme » pour justifier ses guerres hybrides

joe-biden-putin-ap-reuters.jpg

L’Empire américain agite l’arme des « droits de l’homme » pour justifier ses guerres hybrides

Par Luciano Lago

https://www.kulturaeuropa.eu/

SOURCE : http://www.ilpensieroforte.it/mondo/4575-l-impero-usa-agi...

L'Occident, dans sa phase actuelle de décadence, n'a pas les moyens de rivaliser avec le développement impétueux de la Chine. Ajoutez à cela l'étroite coopération entre la Chine et la Russie, étendue de la sphère économique à la sphère militaire, qui fait du bloc Russie/Chine un antagoniste capable de remettre en question l'intention, proclamée par Biden, de restaurer le leadership américain sur le monde.

Dans son dernier discours officiel, le Premier ministre chinois Xi Jin Ping a lancé un avertissement aux États-Unis : le monde ne connaîtra pas la paix et la stabilité tant que les États-Unis ne cesseront pas de s'ingérer dans les affaires des autres pays. Il a également dénoncé les tentatives éhontées de l'Occident de compenser son incapacité réelle, dans son obsession à contrer les menaces chinoise et russe, en organisant des soulèvements et en orchestrant de la propagande pour provoquer des changements de régime. C’est là une forme de guerre hybride avec un objectif bien circonscrit, d'ailleurs, et explicitement déclaré comme tel par les dirigeants de Washington, qui refusent de considérer comme légitimes les gouvernements des pays qui s'opposent à l'hégémonie nord-américaine et qui, dès lors, s'engagent à les combattre en utilisant l'arme des sanctions ou des embargos. Cependant, le jeu avec la Chine et la Russie est plus compliqué, les sanctions sont inefficaces et Washington recourt alors à la rhétorique habituelle des "droits de l'homme", sans reconnaître que ce sont les États-Unis qui sont les plus responsables des violations des droits de l'homme dans le monde.

Pour appuyer leur propagande, soutenue par le méga-appareil médiatique occidental, Washington et Londres mobilisent leurs services de renseignement pour créer des empoisonnements préfabriqués, de l'affaire Skripal à l'affaire Navalny, dont la Russie est accusée (sans preuve), ou pour fomenter des émeutes et des manifestations à Hong Kong. Dans le cas de la Russie, Vladimir Poutine est dépeint comme le nouveau tyran impitoyable qui lâche ses agents à la recherche de prétendus opposants à empoisonner, tandis que Xi Jin Ping est décrit comme le nouveau danger pour le "monde libre". Sinon, les services de renseignement de Washington et de Londres préparent les habituels "False Flag" (provocations scénarisées) d'attaques aux armes chimiques menées par les Russes et les Syriens en Syrie pour accuser Poutine et Assad et préparer de nouveaux "bombardements humanitaires".

On ne peut pas dire que les Anglo-Américains fassent preuve de beaucoup d'imagination à cet égard, il suffit de se rappeler les "armes de destruction massive" présentées comme motif de la guerre contre l'Irak, mais ce peu d'imagination est parfois compensé par Israël avec ses attaques préméditées contre certains navires dans le Golfe Persique, dont l'Iran est accusé, bien sûr. La plus récente fausse attaque contre un navire commercial israélien a été démentie par des images aériennes d'un drone iranien. Des provocations visant à convaincre du "danger" de l'Iran, un pays qui depuis 41 ans est le plus grand antagoniste d'Israël et de l'hégémonie américaine dans la région. Dans tous les cas, l'arme préférée de Washington (et de Londres) est toujours celle des "droits de l'homme". En réalité, l'embargo, pour affamer les peuples et les pousser à mettre en œuvre un changement de régime, est la marque de fabrique de la politique américaine : la même technique que celle mise en œuvre par Israël, depuis plus de onze ans, contre les Palestiniens de Gaza.

_117307915_mediaitem117305279.jpg

Tout ce qui menace la vie et la dignité des personnes est un crime contre l'humanité. Honteux est le comportement de l'Europe qui se plie à ces blocages décidés par Washington, démontrant ainsi sa servilité envers le maître. Cependant, le cas de l'Arabie saoudite est comme une "poutre dans l'œil" des défenseurs des droits de l'homme, avec la couverture accordée par les États-Unis au prince sanguinaire Bin Salman, qui est tout à la fois derrière le meurtre du journaliste Khashoggi et derrière l'agression contre le Yémen. Cette énorme pierre d'achoppement met en évidence l'hypocrisie de cette propagande que seuls les imbéciles peuvent encore croire aujourd'hui.

Luciano Lago

samedi, 20 mars 2021

Comment interpréter le concept de liberté utilisé par Freedom House?

1422522641-5894.jpg

Comment interpréter le concept de liberté utilisé par Freedom House?

Leonid Savin

https://rebelion.org/

Traduction par Juan Gabriel Caro Rivera

Bien que Freedom House (FH) prétende être une organisation non gouvernementale, 70 à 80% de son budget total provient du gouvernement américain. Par conséquent, une grande partie du travail effectué par cette ONG est le reflet des politiques américaines. Récemment, FH a publié son dernier rapport annuel dans lequel il analyse l'état des libertés civiles dans le monde (1). Le rapport se fonde sur le concept occidental de ‘’liberté négative’’, qui conçoit la liberté comme l'absence d'obligations et de restrictions dictées par les relations sociales.

Les pays sont divisés en trois catégories: les libres, les ‘’partiellement libres’’ et les non libres. D'ici 2020, la FH prévoit qu'il y aura 82 pays libres, 59 pays partiellement libres et 54 pays non libres.

Pour avoir une idée de l'approche utilisée par Freedom House pour classer les différents États, il suffit de noter que des pays comme la Russie, la Turquie, le Kazakhstan, la Chine et le Vietnam sont considérés comme non libres, tandis que l'Ukraine, le Royaume du Maroc, le Pakistan et l'Inde sont classés comme partiellement libres ; les vaches sacrées de la démocratie sont les pays d'Europe occidentale et les États-Unis.

L'Estonie est le pays qui s'en approche le plus, avec un total de 94 points, ce qui est étrange, car cette démocratie balte est connue pour le fait qu'elle considère que la population russe ne fait pas partie de la citoyenneté estonienne, ce qui porte atteinte aux droits de l'homme pour des raisons ethniques, mais l'Estonie est considérée comme un pays libre par les employés de Freedom House. La même discrimination existe en Lettonie, mais ce pays reçoit un total de 89 points.

Le rapport note que le niveau des libertés démocratiques a sensiblement diminué au cours de l'année écoulée dans un total de 45 pays (2). La FH fait référence à plusieurs pays, notamment la Biélorussie.

xfreedom-house.png.pagespeed.ic.jaTwCaHQwt.png

Aux États-Unis, le niveau de liberté individuelle s'est dégradé, ce qui a fait tomber ce pays loin derrière la Lettonie et l'Estonie (le score en matière de libertés civiles aux États-Unis est passé de 94 à 83 au cours de l'année écoulée), mais c'est la faute à Donald Trump.

Le rapport note également que l'épidémie de coronavirus a eu un impact négatif sur la promotion de la liberté, cela est clair en ce qui concerne des pays comme la Hongrie, la Pologne, l'Algérie, l'Égypte, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Inde, la Chine, le Canada, l'Argentine, le Brésil, le Venezuela, la Colombie, l'Iran, la Thaïlande et les Philippines. ...

Le système de classement est plutôt biaisé. Par exemple, le rapport est caractérisé par des jugements tels que ceux-ci : "Les ennemis de la liberté défendent l'idée fausse que la démocratie est entrée dans un processus de déclin parce qu'elle est incapable de répondre aux besoins du peuple. En fait, la démocratie est en déclin pour une autre raison : parce que ses représentants les plus éminents ne font rien pour la défendre. Les démocraties doivent de toute urgence commencer à se montrer solidaires les unes des autres afin de conserver leur leadership mondial. Les gouvernements qui défendent la démocratie, y compris la nouvelle administration à Washington, doivent se réunir le plus rapidement possible..."

Que signifie "ne pas faire assez pour défendre la démocratie"? Bombarder la Yougoslavie, envahir l'Irak et l'Afghanistan, détruire l'État libyen, tenter de renverser le président de la Syrie, promouvoir un coup d'État en Ukraine? Soutenir une dictature brutale au Bahreïn afin d'assurer la présence de la cinquième flotte de la marine américaine?

À peu près au même moment où le rapport de Freedom House a été publié, le directeur du renseignement national des États-Unis a rendu public un rapport spécial sur l'implication du gouvernement saoudien dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Le meurtre s'est produit en octobre 2018 au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. Le rapport indique que le prince héritier Mohammed bin Salman a donné le feu vert à une opération visant à capturer et à tuer ce journaliste saoudien, mais les États-Unis n'ont imposé aucune sanction contre l'Arabie saoudite ou contre le prince héritier (Washington s'est limité à imposer quelques sanctions contre l'ancien chef des services de renseignement saoudiens Ahmad al-Asiri).

Il n'est pas non plus important que les employés de Freedom House écrivent sur l'état des libertés civiles dans les pays non libres (comme l'Arabie saoudite), puisque ces pays sont, dans l'ensemble, des vassaux des États-Unis. Les vassaux sont autorisés à faire certaines choses que les autres ne peuvent pas faire, et ces choses doivent inclure la suppression des libertés civiles, comme cela se passe actuellement en Ukraine avec l'approbation du gouvernement américain (3).

Notes :

  1. (1) https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2021/democracy-under-siege
  2. (2) https://freedomhouse.org/explore-the-map?type=fiw&year=2021
  3. (3) https://www.fondsk.ru/news/2021/03/01/ozhestochennaja-borba-so-svobodoj-...

Source : https://www.fondsk.ru/news/2021/03/07/o-nesvobodnoj-rossii-i-otnositelno...

vendredi, 19 mars 2021

Sur le projet OTAN 2030

Atalayar_ Jens Stoltenberg OTAN.jpg

Sur le projet OTAN 2030

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Dans une lettre ouverte à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, plusieurs haut gradés de l'Armée regroupés au sein du Cercle de Réflexion Interarmées s'élèvent contre le projet OTAN 2030 qui affaiblit selon eux la souveraineté de la France. Nous la reproduisons ici. Il va sans dire que nous sommes pleinement d'accord avec cette lettre.

TRIBUNE LIBRE

Le jeudi 18 février 2021 l'étude "OTAN 2030", produite à votre demande, vous a été présentée. Elle indique ce que doivent être les missions de l'OTAN pour les dix prochaines années. D'entrée, il apparaît que toute l'orientation de l'OTAN repose sur le paradigme d'une double menace, l'une russe, présentée comme à l'œuvre aujourd'hui, l'autre chinoise, potentielle et à venir. Deux lignes de force majeures se dégagent de cette étude.

La première, c'est l'embrigadement des Européens contre une entreprise de domination planétaire de la Chine, en échange de la protection américaine de l'Europe contre la menace russe qui pèserait sur elle.

La deuxième, c'est le contournement de la règle du consensus, de plusieurs manières: opérations en coalitions de volontaires; mise en oeuvre des décisions ne requérant plus de consensus; et surtout la délégation d'autorité au SACEUR (Commandant Suprême des Forces Allièes en Europe, officier général américain) au motif de l'efficacité et de l'accélération de la prise de décision.

Mais la lecture de ce projet «OTAN 2030» fait clairement ressortir un monument de paisible mauvaise foi, de tranquille désinformation et d'instrumentalisation de cette "menace Russe", «menace» patiemment créée puis entretenue, de façon à «mettre au pas» les alliés européens derrière les États-Unis, en vue de la lutte qui s'annonce avec la Chine pour l'hégémonie mondiale.

C'est pourquoi, Monsieur le Secrétaire général, avant toute autre considération sur l'avenir tel qu'il est proposé dans le projet OTAN 2030, il est important de faire le point sur les causes et la réalité de cette menace russe, par les quelques rappels historiques ci-dessous.

En effet, l'histoire ne commence pas en 2014, et c'est faire preuve d'une inébranlable mauvaise foi historique concernant les relations euro et américano-russes, que de passer en une seule phrase (au tout début du paragraphe "Russie") directement du "partenariat constructif" lancé par l'Otan au début des années 90 à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, comme s'il ne s'était rien passé entre 1991 et 2014, entre « la gentille Russie » de l'époque, et le méchant «Ours russe» d'aujourd'hui.

NATO2030-logo-horizontal@4x.png

C'est bien l'OTAN qui, dès les années 1990, s'est lancée à marche forcée dans son élargissement vers l'est, certes à la demande des pays concernés, mais malgré les assurances données à la Russie en 1991 lors de la signature du traité de Moscou (2), et qui d'année en année a rapproché ses armées des frontières de la Russie, profitant de la décomposition de l'ex URSS.

C'est bien l'OTAN qui , sans aucun mandat de l'ONU, a bombardé la Serbie (3) pendant 78 jours, avec plus de 58 000 sorties aériennes, et ceci sur la base d'une vaste opération de manipulation et d'intoxication de certains services secrets de membres importants de l'Alliance, (le prétendu plan serbe « Potkova » et l'affaire de Racak ), initiant ainsi, contre toute légitimité internationale, la création d'un Kosovo indépendant en arrachant une partie de son territoire à un état souverain, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, humiliant ainsi la Russie à travers son allié serbe.

Ce principe serait-il à géométrie variable, lorsqu'il s'agit de la Crimée composée à plus de 90% de Russes, et rejoignant la Russie sans un coup de feu?

C'est bien l'OTAN qui en 2008, forte de sa dynamique «conquête de l'est», refusa la main tendue par la Russie pour un nouveau « Pacte de sécurité européen » qui visait à régler les conflits non résolus à l'est de l'Europe (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud), en échange d'une certaine neutralité de la Géorgie, de l'Ukraine, de la Moldavie - c'est à dire de l'immédiat « hinterland » russe - vis-à-vis de l'OTAN.

Et c'est toujours avec ce même esprit conquérant, perçu comme un réel étranglement par la Russie, qu'il a été choisi, en 2010, d'encourager les graves troubles de l'« Euromaïdan », véritable coup d'état qui a abouti à l'élimination du président ukrainien légalement élu,  jugé trop pro-russe, en vue de continuer la politique de rapprochement de l'Ukraine avec l'OTAN.

ch-2.jpg

On connaît la suite, avec les sécessions de la Crimée et du Donbass.

C'est bien l'OTAN qui au début des années 2000, après avoir associé la Russie à une défense anti-missiles de théâtre censée « protéger les États-Unis et ses alliés, dont la Russie » , d'une attaque de missiles tirés par des «États voyous» , notamment l'Iran et la Corée du Nord (sic), transforma de facto en 2010 lors du sommet de Lisbonne, ce système en une architecture globale de défense antimissile balistique en Europe (BMDE), non plus de théâtre, mais en un véritable bouclier tourné cette fois-ci contre la Russie et non pas la protégeant.

C'est encore l'OTAN qui donna l'assurance à la Russie que les sites de lancement des missiles antimissiles balistiques (ABM) ainsi déployés devant sa porte ne pourraient jamais être retournés en sites offensifs contre son territoire tout proche, « oubliant de préciser » qu'en réalité ces lanceurs (MK 41) de missiles ABM pouvaient tout aussi bien servir à tirer des missiles offensifs Tomahawk contre son territoire (nucléaires ou conventionnels de portées supérieures à 2000 km selon les versions) en contradiction flagrante avec le traité INF toujours en vigueur à l'époque de leur déploiement; on dépassait là, et de loin la question de savoir si le 9M729 russe portait à 480 km ou à 520 !

La menace potentielle ainsi exercée sur la capacité de frappe en second de la Russie, base de sa dissuasion nucléaire, a sérieusement remis en cause l'équilibre stratégique américano-russe , poussant alors la Russie à suspendre toute coopération au sein du COR (Conseil OTAN-Russie) fin 2013, donc dès avant l'affaire de la Crimée de 2014,  laquelle sera ensuite utilisée par l'OTAN pour justifier – a posteriori – la protection BMDE de l'Europe face à la nouvelle « menace russe » !

Alors oui, Monsieur le Secrétaire général, au terme de ces vingt années d'efforts soutenus de la part de l'OTAN pour recréer « l'ennemi russe», indispensable à la survie d'une organisation théoriquement purement défensive, oui, la Russie a fini par se raidir, et par chercher à l'Est la coopération que l'Ouest lui refusait.

L'entreprise de séparation de la Russie d'avec l'Europe, patiemment menée au fil des années, par vos prédécesseurs et par vous-même sous l'autorité constante des États-Unis, est aujourd'hui en bonne voie, puisque la Russie, enfin redevenue « la menace russe » , justifie les exercices les plus provocateurs comme Defender 2020 reporté à 2021, de plus en plus proches de ses frontières, de même que les nouveaux concepts d'emploi mini-nucléaires les plus fous sur le théâtre européen sous l'autorité de...l'allié américain qui seul en possède la clef.

20178.jpeg

Mais non, Monsieur le Secrétaire général, aujourd'hui, et malgré tous vos efforts, la Russie avec son budget militaire de 70 Md€ (à peine le double de celui de la France), ne constitue pas une menace pour l'OTAN avec ses 1000 Md€ , dont 250 pour l'ensemble des pays européens de l'Alliance! Mais là n'est pas votre souci car ce qui est visé désormais à travers ce nouveau concept OTAN 2030, est un projet beaucoup plus vaste: à savoir impliquer l'Alliance atlantique dans la lutte pour l'hégémonie mondiale qui s'annonce entre la Chine et les États-Unis.

La vraie menace, elle réelle, est celle du terrorisme. L'étude y consacre bien un développement, mais sans jamais se départir du mot « terrorisme », ni en caractériser les sources, les ressorts, les fondements idéologiques et politiques.

Autrement dit, on n'aurait comme menace, en l'occurrence, qu'un mode d'action, puisque telle est la nature du « terrorisme ». On élude donc une réalité dérangeante, celle de l'islamisme radical et de son messianisme qui n'a rien à envier à celui du communisme d'antan. Le problème est que ce même messianisme est alimenté par l'immense chaos généré par les initiatives américaines post Guerre Froide , et qu'il est même porté au plan idéologique tant par la Turquie d'Erdogan, membre de l'Otan, que par l'Arabie Saoudite, allié indéfectible des États-Unis.

Comme on pouvait s'y attendre, il apparaît dès les premières lignes que ce document n'augure rien de bon pour l'indépendance stratégique de l'Europe, son but étant clairement de reprendre en mains les alliés européens qui auraient seulement pu imaginer avoir une once d'un début d'éveil à une autonomie européenne.

Ce n'est pas tout, car non seulement vous projetez de transformer l'OTAN, initialement alliance défensive bâtie pour protéger l'Europe face à un ennemi qui n'existe plus, en une alliance offensive contre un ennemi qui n'existe pas pour l'Europe, (même si nous ne sommes pas dupes des ambitions territoriales de la Chine, de l'impact de sa puissance économique et du caractère totalitaire de son régime) , mais ce rapport va plus loin, carrément vers une organisation à vocation politique mondiale, ayant barre sur toute autre organisation internationale.

imagesOTAN.jpg

Ainsi, selon ce rapport:

-  L'OTAN devrait instaurer une pratique de concertation entre Alliés avant les réunions d'autres organisations internationales (ONU, G20, etc..) , ce qui signifie en clair « venir prendre les instructions la veille» pour les imposer le lendemain massivement en plénière !

- L'OTAN doit avoir une forte dimension politique, qui soit à la mesure de son adaptation militaire. L'Organisation devrait envisager de renforcer les pouvoirs délégués au secrétaire général, pour que celui-ci puisse prendre des décisions concrètes concernant le personnel et certaines questions budgétaires.

- L'OTAN devrait créer, au sein des structures existantes de l'Alliance, un mécanisme plus structuré pour la formation de coalitions. L'objectif serait que les Alliés puissent placer de nouvelles opérations sous la bannière OTAN même si tous ne souhaitaient pas participer à une éventuelle mission.

- L'OTAN devrait réfléchir à l'opportunité de faire en sorte que le blocage d'un dossier par un unique pays ne soit possible qu'au niveau ministériel.

- L'OTAN devrait approfondir les consultations et la coopération avec les partenaires de l'Indo-Pacifique : l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée,

- L'OTAN devrait commencer de réfléchir en interne, à la possibilité d'établir un partenariat avec l'Inde.

Monsieur le Secrétaire général,

C'est parce que cette organisation lorsqu'elle a perdu son ennemi, n'a eu de cesse que de se lancer à corps perdu dans la justification politique de la préservation de son outil militaire, en se reforgeant son nouvel ennemi russe, qu'elle tend aujourd'hui à devenir un danger pour l'Europe.

Car, non contente d'avoir fait manquer à l'Europe l'occasion d'une véritable paix durable souhaitée par tous, y compris par la Russie, l'OTAN animée du seul souci de sa survie, et de sa justification par son extension, n'a fait que provoquer un vaste réarmement de part et d'autre des frontières de la Russie , de la Baltique à la Mer Noire, mettant en danger la paix dans cette Europe, qu'elle ne considère plus désormais que comme son futur champ de bataille,

Et maintenant, à travers ce document OTAN 2030, et contre la logique la plus élémentaire qui veut que ce soit la mission qui justifie l'outil et non l'inverse - les Romains ne disaient-ils pas déjà « Cedant arma togae » ? - vous voudriez, pour l'avenir, justifier l'outil militaire de cette alliance en le transformant en un instrument politique, incontournable, de gestion de vastes coalitions internationales, au profit d'une véritable gouvernance planétaire, allant même jusqu'à passer outre les décisions de l'ONU et écrasant les souverainetés nationales!

Alors non, Monsieur le Secrétaire général! Il faut stopper ce train fou, avant qu'il ne soit trop tard! La France, quant à elle, dans le droit fil des principes énoncés voici plus d'un demi-siècle par le général de Gaulle, ne saurait, sans faillir gravement, se prêter à cette entreprise d'une acceptation aventureuse de la tutelle américaine sur l'Europe.

Pour le Cercle de Réflexion Interarmées (4), le Général de Brigade aérienne (2S) Grégoire Diamantidis

Notes.

1- Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, structure militaire de l'Alliance Atlantique.

2- Traité de Moscou: ou « traité deux plus quatre », signé le 12 septembre 1990 à Moscou, entre les représentants des deux Allemagnes et ceux des quatre puissances alliées de la Seconde Guerre Mondiale, est le «traité portant règlement définitif concernant l'Allemagne» qui a ouvert la voie à la réunification allemande et fixé le statut international de l'Allemagne unie.

3-Opération «Force Alliée» . Cette opération, décidée par l'OTAN, après l'échec des négociations entre les indépendantistes kosovars et la Serbie sous l'égide de l'OSCE (Conférence de Rambouillet 6 février-19 mars 1999) , fut déclenchée sans mandat de l'ONU, le 24 mars sur la base d'une vaste campagne dans les médias occidentaux, concernant un plan d'épuration ethnique (plan Potkova) mené à grande échelle au Kosovo par la Serbie. Plan qui se révéla par la suite, avoir été fabriqué de toute pièce par les services secrets bulgares et allemands .

4- Le Cercle de Réflexion Interarmées (CRI), est un organisme indépendant des instances gouvernementales et de la hiérarchie militaire. Il regroupe des officiers généraux et supérieurs des trois armées ayant quitté le service et quelques civils et a pour objectif de mobiliser les énergies, afin de mieux se faire entendre des décideurs politiques, de l'opinion publique et contribuer ainsi à replacer l'Armée au cœur de la Nation dont elle est l'émanation.

Source https://www.capital.fr/economie-politique/otan-2030...

mercredi, 17 mars 2021

Si les populistes ne disparaissent pas, ils sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés"

franco-cardini-e1526044331672-1.jpg

Si les populistes ne disparaissent pas, ils sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés"

par Franco Cardini

Source : https://www.lintellettualedissidente.it/

Sur le thème du populisme, nous présentons aujourd’hui un interview du professeur Franco Cardini, historien de renommée internationale. Déjà en 2017, il était intervenu sur le sujet (avec une interview publiée sur vita.it que nous reproduisons ici sous une forme actualisée) "prophétisant" le reflux des mouvements populistes et soulignant les différences avec les mouvements populaires. Aujourd'hui, à la lumière du nouvel ordre politique, social et géopolitique, également déterminé par l'avènement de la pandémie de la Covid-19, Cardini exclut une "résurrection à court terme" du phénomène populiste désormais "englouti par la politique" et, surtout, ne voit pas d'opportunités pour l'Europe subordonnée au dessein hégémonique des États-Unis. Édité par Filippo Romeo en 2017.

Ces derniers temps, nous assistons à une croissance exponentielle du populisme. Pourriez-vous nous aider à cadrer le phénomène d'un point de vue historique en expliquant ce qu'il est, où il est apparu et comment il s'est développé ?

Je crois que l’on a déjà répondu cette question de manière exhaustive : mon ami et collègue Marco Tarchi, avec lequel je suis entièrement d'accord, y a précisément répondu et je reconnais son extraordinaire compétence en la matière.

Quelle a été son évolution en Italie ?

Je ne remonterai pas trop loin, et en particulier je n'aborderai pas la question de savoir si le fascisme était un populisme ou s'il avait un quelconque caractère y afférant. Il va sans dire qu'en Italie les grands mouvements "populaires" (y compris le communisme, qui se présentait comme classiste mais ne l'était pas en réalité) n'étaient pas populistes dans la mesure où du populisme ils n'avaient pas un caractère fondamental: la méfiance et/ou la lassitude et/ou le mépris de la politique. Le fascisme lui-même, qui avait en commun avec le populisme classique (boulangisme, par exemple) le mépris de la politique comme praxis ou comme revendication "démocratique", résolvait ce mépris en termes de hiérarchie et de discipline dans le militantisme ; de même, étant anti-classe et inter-classe, il résolvait cette position en termes corporatifs, s'inspirant de théoriciens très proches de la doctrine sociale de l'Église (Toniolo).

515i91eUP4L._SX333_BO1,204,203,200_.jpgQuant aux mouvements "populistes" actuels, leur parabole a déjà été parcourue au cours des vingt dernières années par la "Lega" et est en train d'être parcourue par le "M5S" : succès initial soudain, dû à la nouveauté, insistance sur quelques thèmes de propagande facilement déclinés avec quelques variables (anti-islamisme, xénophobie, anti-européanisme, "anti-politique", moralisme, etc.), lassitude vis-à-vis de la politique politicienne démocratique habituelle, due à la routine d’une politique professionnelle et incompétente, puis impasse et crise dues à une détérioration rapide – à un vieillissement. L'absence de véritables programmes et surtout d'une authentique tension civique conduit fatalement à un échec cyclique mais peut-être aussi à une résurrection rapide sur des modules récurrents (le berlusconisme et le recyclage des thèmes et sympathies de l'ex-Ligue dans le grillisme en sont la preuve).

En Europe, outre l'avancée du populisme, nous assistons à une croissance exponentielle des partis et mouvements nationalistes. Quelles sont les implications de ces phénomènes ?

Je n'ai aucune estime ni confiance dans les mouvements néo-micro-nationalistes: la seule issue possible pour un mouvement nationaliste sérieux dans un pays européen, dans les décennies entre les années 1950 et aujourd'hui, aurait été de viser, avec des mouvements nationalistes similaires, une identité européenne sérieuse, la construction d'un patriotisme européen et d'une conscience civique européenne. Sur ce sujet, il y avait eu quelques tâtonnements dans les années 1960 (le mouvement de Jean Thiriart, héritier en grande partie du "socialisme européen" de Pierre Drieu La Rochelle). La constellation de groupes et de personnalités du petit monde de la culture - je ne veux pas les appeler "intellectuels" parce que je n'aime pas ce terme - qui, depuis les années 70, a trouvé un catalyseur en Alain de Benoist, aurait pu reprendre ces thèmes: elle a choisi une autre voie, très intéressante cependant. Je n'attends rien du développement et peut-être du succès électoral des groupes néo-micro-nationalistes, sinon une utilisation hystérique et en même temps instrumentale de la xénophobie. Si et quand certains de ces groupes prendront comme objectif principal la nécessité d'une sérieuse reprise en mains de la souveraineté nationale, ce qui implique avant tout la sortie de l'OTAN, alors nous pourrons relancer le débat sur une base plus sérieuse et concrète. Jusque-là, je ne vois que des vœux pieux et une chasse aux sièges.

790x1200.jpgLe populisme peut-il être lu comme la énième désintégration d'une pensée européenne construite sur des cathédrales, des monastères et des universités ?

La pensée "européenne" de la chrétienté occidentale - celle qui est chantée dans un célèbre essai de Novalis - est celle qui s'est exprimée précisément dans les cathédrales, les monastères et les universités. C'est une pensée fondée sur la métaphysique, sur les distinctions hiérarchiques et sur le communautarisme. La modernité, qui est essentiellement l'individualisme et le primat de l'économique et du technologique, l'a détruit. Le monde moderne, celui de l'économie-monde, de "l'échange symétrique" et de l'exploitation généralisée de l'homme par l'homme (c'est ce qu'est la mondialisation) n'est pas né d'un développement harmonieux de ce qui existait auparavant, mais d'une révolution: la Révolution individualiste et matérialiste. Il faudra une autre Révolution pour le détruire. Sur le plan social et anthropologique, le mot grec qui exprime le mieux le caractère de ce type de Révolution est Metanoia.

La définition de "populiste" a été adoptée, par des spécialistes faisant autorité, également par le pontificat du pape Bergoglio. A votre avis, peut-on parler d'un moment populiste dans l'Eglise catholique ?

Mario Jorge Bergoglio a été péroniste dans sa jeunesse : il a donc connu un mouvement aux caractéristiques populistes-charismatiques assez explicites et avancées. Lorsqu'il est entré dans la Compagnie de Jésus, il a certainement gardé intacte cette tension vers la justice qui avait très probablement caractérisé son expérience péroniste, mais il l'a métabolisée, précisément, en termes de Metanoia. Je ne vois aucune trace de populisme dans la pensée de Bergoglio : j'y vois une profonde vocation eschatologique et une vocation prophétique-apocalyptique. Je ne sais pas si Bergoglio est le "dernier pape" prophétisé par Malachie : je sais qu'il est un pape des derniers temps, qui invite à vivre l'Eschata.

draghi-salvini.jpg

Propos complémentaires de 2021

Dans votre interview de 2017, vous avez prédit de manière prophétique le flux et le reflux des mouvements populistes. Face à la situation socio-politique actuelle, quelle direction le phénomène prendra-t-il ? Et sous quelle forme pourrait-elle ressusciter ?

Il n'y avait pas de prophétie: c'est la tendance, parfaitement observable, des mouvements populistes qui soit échouent en tant que tels, soit sont réabsorbés par la politique (politicienne établie). Max Weber dirait que, puisqu'ils sont à leur manière du côté du "charisme", tôt ou tard, l'"institution" a raison d'eux. D'autre part, comme les révolutionnaires et les extrémistes, les populistes, s'ils ne disparaissent pas, sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés". Maintenant, à part les boutades de Grillo qui - au moins aujourd'hui - est le premier à ne pas y croire, le gros du M5S prendra la voie des mécontents vaguement de gauche, à part une certaine frange de droite qui reviendra à sa position initiale. Sans aucun doute, le choix de Giorgia Meloni, outre le fait qu'il était obligatoire si elle voulait éviter de faire partie de l’inutile charrette de queue du nouveau gouvernement, était politiquement intelligent : Lorsque la "lune de miel" entre Draghi et la majeure partie de la politique italienne (ne parlons pas de la "vraie" société civile, qui ne se distingue même plus, submergée par les clameurs des médias) sera terminée, c'est-à-dire dans quelques semaines ou quelques mois, l'ancien M5S réapparaîtra fragmenté ou du moins redimensionné, à l'exception des politiciens les plus compétents qui le composent et qui font déjà la queue pour s’engager dans un PD, qui, à son tour, entre également en crise. Une "résurrection populiste" à court terme n'est pas prévisible : la métabolisation du mouvement « pentastellé » (Cinq Etoiles) devenu un semi-parti sera lente.

Peut-on considérer l'institutionnalisation comme un facteur de déclin des mouvements populistes ?

C'est généralement la règle: soit ils réussissent et se transforment en forces politiques, soit ils disparaissent. Le fait est qu'ils ont raison de se méfier de la politique, qui est injuste et malhonnête. C'est pour cette raison qu'elle a toujours raison d'eux: elle les engloutit, aussi parce qu'en général, à leur tête, il y a des gens qui meurent d'envie de faire de la politique, en se transformant d'outsiders en leaders.

La pandémie de la Covid 19 a accéléré certains processus qui ont affecté l'architecture géopolitique, et révélé, s'il en était encore besoin, la limite des modèles actuels d'organisation économique et sociale. À votre avis, à quoi ressemblera la prochaine mondialisation ? Les nouveaux changements pourraient-ils être une opportunité pour l'Europe ?

Franchement, je ne vois pas de changement qui pourrait constituer une opportunité. Draghi a été très explicite: volontairement ou non, il a énoncé un programme et un projet très clairs, parlant d'atlantisme et d'européanisme. Par "atlantisme", Draghi entend la fidélité aux pactes constitutifs de l'OTAN, qui sanctionnent la subordination politique et militaire, et donc diplomatique, de l'Union européenne au dessein néo-hégémonique américain, une caricature du "multilatéralisme" auquel Obama croyait peut-être sérieusement, caractérisée par un retour au programme "classique" du parti démocrate américain: le "gendarme démocratique" américain qui surveille et sanctionne le monde entier, au nom du principe axiomatique selon lequel la paix et la prospérité du monde (c'est-à-dire de 10% de la population mondiale, qui possède et gère 90% des richesses de la planète entière), donc la stabilité du statu quo, coïncident avec les intérêts des États-Unis. Par "européanisme" Draghi entend précisément le statu quo, c'est-à-dire une "Union" économico-financière/technologique qui doit considérer l'OTAN comme son bras militaire (dont la politique est dictée à Washington) et ne jamais rêver d'atteindre l'indépendance et la souveraineté politique en se transformant en une Fédération ou une Confédération souveraine capable de développer une position internationale propre, ce qui serait très utile et louable, soit une position de médiation entre les deux blocs de la nouvelle "guerre froide" qui se prépare entre les États-Unis d'un côté, la Russie et la Chine de l'autre.

h_55366682-1-800x600.jpg

Pour autant que je sache, le lancement d'une véritable Fédération européenne - maintenant que le projet de constitution, lancé il y a des années, a lamentablement échoué sur le faux obstacle du préambule relatif aux "racines chrétiennes" - n'est plus à l'ordre du jour ni à Bruxelles ni à Strasbourg; aucun signe de mouvement politique européiste à l'horizon; la seule personne qui a eu l'intelligence concrète de relancer un discours politique pro-européen unitaire, en écartant explicitement la formule fédéraliste, inadaptée à l'histoire européenne, et en parlant plutôt d'un possible projet confédéré, a été Giorgia Meloni. Il s'agissait d'un appel nouveau et intelligent, lancé une seule fois à ma connaissance et qui n'a été repris par personne. En revanche, Meloni ne peut rien faire: elle est "sous la claque" et le sait très bien. Si, dans quelque compétition électorale future, elle parvenait à dépasser les 15%, aussitôt quelque part exploseraient quelques bombes sous un monument à la Résistance, contre les murs de quelque synagogue, apparaîtraient quelques croix gammées, l'ANPI se mettrait aussitôt en branle, la "question morale antifasciste" renaîtrait et elle serait à nouveau formellement isolée. D'autre part, avec un "Parlement européen" comme celui-ci, expression des parlements des différents pays et marionnette de la volonté des Etats-Unis, on fait peut-être une politique des "fonds de relance", mais on ne va pas aller au-delà de l'euro. C'est la fin du projet européiste inauguré il y a des décennies par De Gasperi, Adenauer et Schuman.

GettyImages-1224647205.jpg

lundi, 15 mars 2021

Chronique européenne: TransEuropa#2, avec Robert Steuckers - L'Europe encerclée ?

safe_image.php.jpg

Chronique européenne: TransEuropa#2, avec Robert Steuckers

L'Europe encerclée ?

Second épisode de notre série TransEuropa, spécialement consacrée à l'Europe. Depuis son bunker belge, le conférencier et essayiste Robert Steuckers (Oncle Bob pour les intimes) abordera différents sujets à propos de notre continent. Histoire, politique, littérature, grands mythes et bien d'autres sujets qui nous l'espérons raviront les auditeurs et leur donneront des clés de compréhension à propos de l'Europe. Aujourd'hui: l'Europe est-elle encerclée ? Bonne écoute et place à oncle Bob ! #géopolitique #international #Europe
 
 
✅ Abonnez vous si ce n'est pas encore fait !
✅ Pour soutenir la radio, notre Tipee ► https://fr.tipeee.com/radio-lorraine-...
 
Également disponible sur Soundcloud: https://soundcloud.com/user-640188530...
Extrait musique: © Kraftwerk-Trans Europa Express (1977)
Réalisation: ©Radio Lorraine Enragée 2021

dimanche, 14 mars 2021

Le triangle Chine-Inde-Pakistan : enfin la détente ?

mcms.php.jpg

Vladimir Terehov :

Le triangle Chine-Inde-Pakistan : enfin la détente ?

https://journal-neo.org/

La conversation téléphonique qui eut lieu le 25 février 2021 entre les ministres des Affaires étrangères de l'Inde et de la Chine (Subrahmanyam Jaishankar et Wang Yi) fut tout à fait remarquable quant à la manière d’évaluer le jeu politique dans la région indo-pacifique et dans le monde en général. Pour la première fois depuis septembre dernier, lorsque les mêmes ministres s'étaient rencontrés à Moscou à l'occasion du prochain forum ministériel des États membres de l'OCS, les deux géants asiatiques ont eu un contact direct au niveau gouvernemental.

Ma prédiction, annonçant la fin d'un autre cycle de détérioration des relations sino-indiennes, semble heureusement se confirmer. Jusqu'à présent, nous pouvons prudemment espérer leur amélioration ultérieure, car ainsi les "forces extérieures" ne pourront pas, une fois de plus, se réchauffer cyniquement les mains au feu qu’elles auront allumé chez autrui.

Entre-temps, les initiateurs du projet Quad (composé de l'Australie, de l'Inde, des États-Unis et du Japon), dont la dernière conférence ministérielle régulière s'est tenue le 18 février, nourrissent des espoirs non dissimulés quant à la possibilité prochaine d’une confrontation sino-indienne. Le Quad est la pâte à partir de laquelle la tarte de l'OTAN asiatique est censée être cuite. Cette dernière devrait remplacer l'inutile "OTAN tout court", c'est-à-dire un dinosaure politique qui a dépassé depuis longtemps le temps qui lui était imparti dans l'histoire.

jaishankar-Wang-Yi-1200-1.jpg

Un commentaire paru dans le journal chinois Global Times décrit la conversation entre Subrahmanyam Jaishankar et Wang Yi comme "un signal de la fin de la confrontation (sino-indienne) et une intention commune de rétablir des liens bilatéraux". Il s'agit de sortir enfin de l'impasse dans les négociations pluriannuelles entre les délégations des deux pays pour résoudre le conflit au Ladakh, qui a été dans sa phase la plus dangereuse depuis des décennies.

Le Global Times note que le désaccord sur la frontière subsiste et rapporte (en se référant à une "source interne à l'Inde") que, lors d'une conversation téléphonique, les ministres ont convenu "de ne pas permettre au dit désaccord de déboucher sur de graves différends".

Une telle interprétation de la conversation est cohérente avec le rapport officiel du ministère chinois des affaires étrangères (qui a attiré l'attention sur l'affirmation de Wang Yi selon laquelle les relations entre l'Inde et la Chine ne se limitent pas aux questions frontalières et que des efforts conjoints pour les améliorer davantage et créer un climat de "coopération pragmatique" sont tout à fait possibles.

Notez également les autres signaux positifs que Pékin envoie à Delhi. En particulier, comment a été présenté au public (pour la première fois après des mois de silence) un témoignage vidéo sur l'un des incidents survenus l'été dernier dans la région montagneuse où se déroule le conflit frontalier et sur la cérémonie funéraire des quatre gardes-frontières chinois qui ont alors trouvé la mort.

Lors d'une conférence de presse le 22 février, un porte-parole officiel du ministère chinois des affaires étrangères a déclaré son "soutien à l'Inde" en tant qu'hôte du prochain sommet des BRICS et sa "volonté de travailler avec elle" dans divers domaines abordés par le forum.

infographie-3597-tertrais-carte-inde-chine_6264672.jpg

unnamedconflitICH.jpg

Récemment, dans la rhétorique officielle qui accompagne le vieux conflit du Ladakh, on ne peut s'empêcher de déceler des signes de la prise de conscience par Pékin de son rôle particulier de deuxième puissance mondiale. Sa politique étrangère ne peut être prise en otage par des incidents relativement mineurs. Après tout, il ne s'agit pas de lutter contre l'Inde, mais pour elle. Pendant ce temps, sur la scène internationale, il est facile de voir, une fois encore, ceux qui ne sont pas du tout intéressés par le succès de ce type de lutte pour l’apaisement des tensions en Asie.

À cet égard, le vecteur de transformation de la propre politique étrangère de l'Inde, où il existe un très large éventail d'opinions sur la question des relations avec la RPC, revêt une importance cruciale.

Le même rapport du ministère chinois des Affaires étrangères sur le contenu de la conversation téléphonique, dont question, note que S. Jaishankar a fait référence au "consensus atteint à Moscou", qui a prédéterminé le succès des négociations ultérieures des délégations militaires des deux parties engagées dans le conflit. Jaishankar a également exprimé la volonté de son pays de "prendre en compte le développement à long terme des relations avec la Chine ... et de les remettre sur les rails".

Quant à la presse indienne, ses commentaires sur l'importance de la conversation entre les deux ministres, sur les résultats du dernier (et 10ème) cycle de négociations visant à résoudre le conflit au Ladakh et sur l'état général de la situation sur l'ensemble des frontières communes (qui s'étendent sur environ 3 500 km) sont généralement plus modérés que ceux des médias de la RPC. En particulier, citant des sources du commandement des forces terrestres, l'APL parle de la modernisation des infrastructures frontalières près des États indiens du nord-est, Arunachal Pradesh et Sikkim.

En utilisant des informations "provenant de sources gouvernementales", on suggére que le sujet d'une éventuelle visite du dirigeant chinois Xi Jinping en Inde en relation avec le sommet (prévu) des BRICS, ne soit pas encore à l’ordre du jour. Puisque rien n'est encore clair sur la date de l'événement lui-même, en raison de l’épidémie de SRAS-CoV-2.

soldats-indiens-chinois-discutent-frontiere-octobre-2006_0_1399_947.jpg

Des signaux tout aussi contradictoires ont été notés sur la question d'un éventuel revirement de l'Inde (suite aux très récentes tentatives américaines, qui sont similaires à celles de la période Trump-Pompeo). Ce revirement viserait à comprimer de manière globale le champ des relations commerciales et économiques avec la RPC. Mais il est tout de même important que le sujet soit au moins discuté.

L'apaisement des tensions dans les relations sino-indiennes ne pouvait qu'avoir un effet positif sur l'état des relations de l'Inde avec le Pakistan, l'allié le plus proche de la Chine. Comme il y a quatre ans, une autre initiative de paix pakistanaise a été menée par les militaires, qui ont longtemps été à l'étroit derrière les autorités "civiles" officielles. Cela, une fois de plus, est sans aucun doute un facteur positif dans le contexte des réalités pakistanaises, comme d'ailleurs pour un certain nombre d'autres pays "en développement".

Le 2 février, le commandant des forces terrestres, le général Qamar Javed Bajwa, a déclaré que "le moment est venu de tendre une main pour que la paix s’installe dans toutes les directions". Il n'est pas indifférent de noter le moment choisi pour ladite déclaration. Premièrement, le Pakistan se débat dans un nouveau stade de détérioration de sa situation politique interne, qui mérite toutefois un examen séparé.

Deuxièmement, cela fait maintenant deux ans que le dernier conflit armé sérieux avec l'Inde a éclaté après une attaque terroriste sauvage au Jammu-et-Cachemire, qui avait incité le même général Qamar Javed Bajwa à formuler des remarques très dures contre l'Inde. En fait, divers aspects de la situation dans cet État ont été au centre du conflit entre le Pakistan et l'Inde depuis l'indépendance des deux pays à la fin des années 1940.

Il est désormais prouvé que la déclaration de Qamar Javed Bajwa n'était pas spontanée, mais qu'elle était le résultat de négociations menées par des représentants des deux pays "à huis clos" au cours des mois précédents. Il s'agissait essentiellement d'un processus unifié visant à atténuer les tensions aiguës dans les relations de l'Inde avec ses deux principaux adversaires. Quant au Pakistan, le 24 février, un accord a été signé avec son représentant militaire afin d'éviter de nouveaux affrontements chauds sur la ligne dite de contrôle effectif, qui sépare les deux pays dans la région du Jammu-et-Cachemire.

Notons une circonstance importante qui semble avoir largement contribué à l'ajustement de la ligne de conduite de l'Inde vis-à-vis de ces deux pays opposants. Il s'agit d'un autre pas vers le développement du problème des droits de l'homme en relation avec la situation dans ce même état de Jammu et Cachemire. Dans la seconde moitié du mois de février, l'Inde a dû accepter pour la deuxième fois un voyage "d'inspection" dans cet État par un groupe de représentants d'ambassades étrangères (occidentales pour la plupart) en Inde.

Les "activistes des droits de l'homme" professionnels ne dorment pas non plus. Surtout ceux de l'ONU. Le gouvernement indien a dû une fois de plus réprimander publiquement ces bureaux bruyants, qui mettent leur nez là où leur maître (américain) actuel, toujours en coulisse, le marchand de vent mondial, leur dit de le faire. La liste des "marchandises", proposées par ces bureaux, est dominée par des contrefaçons portant les étiquettes "liberté", "démocratie" et "droits de l'homme".

_82436050_pakistan_china_roadmap_624map.jpg

La détente imminente dans le triangle Chine-Inde-Pakistan est importante en soi, car elle concerne trois pays dotés de l'arme nucléaire et représentant une population totale d'environ 3 milliards de personnes. Les deux premiers ont été le moteur de l'activité économique mondiale ces dernières années.

Mais le fait que cette détente réduise la marge de manœuvre des escrocs mondialistes habituels, en particulier de ceux qui se sont récemment arrogés l'autorité de la "première puissance mondiale", n'est pas le point le moins important.

Vladimir Terehov, expert des questions de la région Asie-Pacifique, en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

Les Etats-Unis poursuivent leur croisade contre Nord Stream 2

d02ea7b_5237019-01-06.jpg

Brian Berletic :

Les Etats-Unis poursuivent leur croisade contre Nord Stream 2

https://journal-neo.org/

Malgré le théâtre politique partisan qui se joue à Washington en termes de politique étrangère, pratiquement rien n'a changé avec l'entrée en fonction du nouveau président américain. La rhétorique de la nouvelle administration est à peine différente de celle du prédécesseur.

Qu'il s'agisse des tensions américaines avec la Chine et l'Iran ou de la pression continue exercée sur la Russie, les Etats-Unis poursuivent une politique étrangère singulièrement belliqueuse dans le cadre d'un effort continu pour maintenir un "ordre international" dirigé par les seuls Etats-Unis et pour réaffirmer l'hégémonie américaine partout sur la Terre, surtout là où elle est contestée.

Cela inclut l'Europe occidentale, où les cercles d'intérêts politiques et économiques ont commencé à s'écarter des intérêts américains, voire à les contrecarrer.

Le meilleur exemple en est la participation de l'Allemagne au projet de gazoduc Nord Stream 2 - un effort conjoint entre la Russie et l'Allemagne pour amener le flux d'hydrocarbures directement vers l'Europe occidentale - en contournant les régions potentiellement instables en Europe de l'Est, régions qui sont spécifiquement ciblées par les Etats-Unis pour entraver la coopération russo-européenne.

indexabs.jpg

Bliken se fait l’écho de Mike Pompeo

Le nouveau secrétaire d'État américain Antony Blinken, lors de son audition première devant le Sénat américain, s'est retrouvé en accord quasi unanime avec les sénateurs américains - républicains ou démocrates - sur la nécessité de maintenir, voire d'étendre, la belligérance américaine dans le monde.

En ce qui concerne Nord Stream 2 en particulier, lorsque le sénateur américain Ted Cruz l'a interrogé sur l'engagement de la nouvelle administration à bloquer le gazoduc russo-allemand, Blinken a répondu :

‘’Le président élu est tout à fait d'accord avec vous pour dire que Nord Stream 2 est une mauvaise idée. Il a été très clair à ce sujet.

Je suis déterminé à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher l'achèvement des cent derniers mètres [du gazoduc]. Je suis tout à fait d'accord’’.

Lorsqu'on lui a demandé si la nouvelle administration allait "résister à la pression allemande" contre tout arrêt du projet, Blinken a répondu :

‘’Je peux vous dire que je sais que [Biden] nous ferait utiliser tous les outils de persuasion dont nous disposons pour convaincre nos amis et partenaires, y compris l'Allemagne, de ne pas aller de l'avant’’.

Selon le site web officiel du sénateur Cruz, Nord Stream 2 est décrit comme suit :

‘’un projet qui, s'il était mené à bien, récompenserait l'expansionnisme agressif et le chantage économique de la Russie, ferait de la sécurité énergétique de nos alliés européens l'otage de la Russie, et porterait atteinte aux intérêts de sécurité nationale de l'Amérique’’.

Pourtant, si tout cela était vrai, pourquoi l'Allemagne accepterait-elle de participer au projet en premier lieu ? Pourquoi l'Allemagne accepterait-elle volontairement de se soumettre au "chantage économique" de la Russie ou de mettre délibérément en danger sa propre "sécurité énergétique" ?

En quoi les États-Unis sont-ils mieux placés que l'Europe elle-même pour évaluer les menaces pesant sur la sécurité énergétique européenne et y répondre ? Et le fait que les États-Unis cherchent à vendre à l'Europe son propre "gaz de la liberté" ne constitue-t-il pas un conflit d'intérêts immense et flagrant ?

Les États-Unis libèrent l'Europe de la liberté de choisir

Comme les États-Unis le font régulièrement, ils créent un écran de fumée rhétorique derrière lequel ils avancent leur programme - souvent un programme qui est en contradiction directe avec leurs arguments rhétoriques - et leur politique de blocage de Nord Stream 2 ne fait pas exception.

gaz-schiste-formation.JPG

Les États-Unis mettent eux-mêmes en danger la sécurité énergétique européenne en cherchant à couper l’accès des Européens aux hydrocarbures russes bon marché et facilement disponibles et en forçant l'Europe à acheter des hydrocarbures plus chers aux États-Unis - principalement dérivés du processus politiquement et écologiquement controversé de la fracturation. Comme le processus d'extraction et de transport des hydrocarbures des États-Unis vers l'Europe par ce procédé est plus élaboré, il est également plus cher que les hydrocarbures russes.

Ainsi, la "sécurité énergétique" offerte à l'Europe par les États-Unis comme alternative au flux bien établi des hydrocarbures russes se heurte à une opposition politique, environnementale et même économique.

C'est la menace de sanctions et de pressions de la part des États-Unis qui constitue un exemple très réel de "chantage économique".

En fait, le seul élément véridique des objections de Washington contre l'achèvement du Nord Stream 2 est qu'il menace "les intérêts de sécurité nationale de l'Amérique". Mais ceux-ci ne doivent pas être confondus avec la défense réelle des États-Unis - mais plutôt avec la défense du pouvoir et de l'influence des États-Unis à l'étranger - un pouvoir et une influence qui sont à la fois injustifiés et de plus en plus malvenus.

Les manoeuvres de l'Allemagne

Le média d'État allemand Deutsche Welle (DW), dans un article intitulé "Nord Stream 2 : la fondation allemande combat les éventuelles sanctions américaines", décrit les efforts de l'Allemagne pour atténuer l'impact des sanctions américaines.

L'article note :

‘’Au début du mois, le gouvernement de l'État de Mecklembourg-Poméranie occidentale a créé une fondation publique qui pourrait prendre en charge une activité potentiellement sanctionnable, car la fondation "n'a pas à craindre les sanctions", a déclaré à la DW un porte-parole du ministère de l'Énergie de l'État.

ech21329066-1.jpg

russie-europe-grandes-manoeuvres-gazieres-dans-les-balkans_0.jpg

"La fondation pourrait offrir la possibilité d'acquérir des pièces et des machines nécessaires à la construction de pipelines et, le cas échéant, de les mettre à la disposition des entreprises participantes", a déclaré la porte-parole, Renate Gundlach, dans un communiqué. "L'objectif est de sécuriser ces articles hautement spécialisés, que seules quelques entreprises dans le monde produisent avant qu'il ne soit potentiellement plus possible de les acquérir en raison des sanctions."

Étant donné que les sanctions américaines ne visent - pour l'instant - que les entreprises allemandes et non le gouvernement allemand lui-même - la création d'une fondation pour protéger les entreprises privées visées par les sanctions permettrait aux entreprises de contourner les sanctions américaines.

Pour contrer cela, les États-Unis seraient contraints de cibler directement le gouvernement allemand - une décision qui entraînerait probablement une détérioration continue et irréversible des liens entre les États-Unis et l'Europe. Et alors que l'on nous a dit que les liens précédemment tendus entre les États-Unis et l'Europe étaient le résultat de "l'administration Trump", l’escalade devrait avoir lieu sous l'administration Biden, qui a récemment accédé aux affaires.

Cela permettrait de mettre un terme aux manigances des agences à Washington et de révéler pleinement que la politique étrangère américaine est dirigée par les intérêts des grandes entreprises et des financiers - y compris ceux qui cherchent à faire de l'argent en vendant à l'Europe du "gaz de la liberté" fabriqué aux États-Unis.

Pendant des années, les États-Unis ont dépeint des nations comme la Russie, la Chine, l'Iran et d'autres comme des ‘’pays voyous’’ - justifiant tout, des sanctions économiques aux pressions politiques, en passant par la guerre par procuration et les menaces de guerre totale. Cependant, il semble que maintenant, même l'Europe se retrouve elle aussi au bout des artifices de la puissance "douce" : elle subira bientôt la puissance "dure" des Etats-Unis – révélant, par conséquent, que les Etats-Unis et leur exceptionnalisme sont le problème - et non pas les pays qui figurent sur la liste croissante des nations qui refusent de se soumettre à leur ordre du jour et de les "suivre" sans régimber parce qu’ils s’arrogent le droit de ‘’mener la danse’’.

Ironiquement, outre le gazoduc Nord Stream 2 lui-même, la belligérance accrue de l'Amérique à l'encontre de la Russie et de l'Allemagne a fourni à Moscou et à ses voisins d'Europe occidentale un terrain d'entente sur lequel travailler pour contourner les sanctions américaines.

Brian Berletic est un chercheur et écrivain en géopolitique basé à Bangkok, notamment pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

samedi, 13 mars 2021

Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a présenté le nouveau modèle de relations internationales de la Chine

Wang-Yi-ministre-chinois-des-Affaires-etrangeres.jpeg

Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a présenté le nouveau modèle de relations internationales de la Chine

Par Andrew Korybko

Ex : http://oneworld.press/

Le nouveau modèle chinois de relations internationales n'est en fait pas si nouveau que cela, mais il s'agit essentiellement d'une renaissance de l'ordre mondial que l'ONU avait envisagé dès sa fondation, mais qui n'avait pas encore pu se concrétiser en raison de la guerre froide et des efforts infructueux déployés par les États-Unis pour imposer leur hégémonie unipolaire.

Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, a présenté le nouveau modèle de relations internationales de son pays lors d'un entretien avec des journalistes dimanche, à l'occasion de la réunion des deux sessions en cours à Pékin. Il a rendu hommage au Comité central du Parti communiste chinois (PCC) pour avoir guidé la politique étrangère de la Chine et a promis que celle-ci ferait toujours tout son possible pour défendre les principes de démocratie, de justice, d'égalité et de multilatéralisme institués par la Charte des Nations unies. À propos de cette dernière, le ministre des affaires étrangères Wang a rappelé à tous que le multilatéralisme sélectif reste une pensée propre à un groupe restreint : elle ralentit dès lors la marche irréversible de l'humanité vers une communauté d'avenir partagée. Il faut l'éviter et tous les pays devraient plutôt embrasser le véritable multilatéralisme tel qu'il est envisagé par les Nations unies.

Les relations de la Chine avec les États-Unis doivent être fondées sur le principe de non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures. En particulier, les États-Unis doivent cesser de s'ingérer dans les affaires de Taïwan, de Hong Kong, du Xinjiang et de la mer de Chine méridionale. La réunification de la nation chinoise est inévitable, a déclaré le ministre des affaires étrangères Wang, alors que tous les pays, y compris la Chine, tiennent fermement au principe selon lequel seules les forces patriotiques devraient être autorisées à se présenter à des fonctions publiques, comme ce qui est actuellement proposé pour la région autonome spéciale de Hong Kong. Face aux fausses rumeurs de "génocide" au Xinjiang, Wang Yi a encouragé le monde entier à visiter la région pour constater que ses habitants se portent mieux que jamais. En ce qui concerne la mer de Chine méridionale, il a condamné les patrouilles dites de "liberté de navigation", qui sont des initiatives provocatrices perpétrées par les États-Unis.

Néanmoins, le ministre des affaires étrangères Wang a déclaré que la Chine espérait que les États-Unis élimineraient tous les obstacles au dialogue et à la coopération. Il a réaffirmé que la concurrence entre les deux pays est naturelle, mais qu'elle doit être saine, équitable, juste et gérée de manière responsable dans la perspective d'un enrichissement mutuel. Le diplomate a cité un dicton chinois sur la "recherche de l'harmonie sans uniformité" pour montrer son respect de la diversité systémique dans le monde. Tous les pays devraient être libres de choisir le modèle qui leur convient le mieux, qu'il s'agisse du modèle chinois, américain ou autre. Aucun d'entre eux, cependant, ne devrait dénigrer les autres ou aspirer à la suprématie. Ce n'est que par ce biais que le monde entier pourra véritablement adhérer à la philosophie de la coopération, une philosophie ‘’gagnant-gagnant’’.

China-–-Pakistan-Economic-Corridor.jpg

GwadarPort.jpg

Port de Gwadar, Pakistan.

À ce propos, l'engagement de la Chine avec le reste du monde repose sur sa vision d'une communauté d'avenir partagé pour l'humanité, qui se rapproche aujourd’hui de la réalité grâce à l'initiative "Belt & Road" (BRI) et au nouveau paradigme de développement du pays,  dit de ‘’la double circulation’’. Les grands projets de la BRI, tels que le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), sont allés de l'avant malgré la pandémie, évoluant même jusqu'à créer les routes de la soie numérique, verte et sanitaire. Toutes ces initiatives incarnent le multilatéralisme et l'ouverture, qui sont en totale conformité avec les principes de la pensée Xi Jinping qui constituent le fondement du nouveau modèle chinois des relations internationales.

Af.exports2china.gif

Le ministre des affaires étrangères Wang a également consacré beaucoup de temps à l'examen des relations de la Chine avec chacune des régions du monde. Il a réfuté les fausses allégations selon lesquelles la Chine tenterait de séparer l'UE des États-Unis et a déclaré que la Chine et l'UE ne sont pas des rivaux systémiques, mais des partenaires civilisationnels ayant des intérêts communs. Le diplomate a également défendu l'accord global sur l'investissement (CAI) conclu l'année dernière et a déclaré qu'il n'était pas dirigé contre une tierce partie. Quant à l'Afrique, le ministre des affaires étrangères Wang a fait l'éloge des liens que la Chine entretient avec elle en tant que modèle de coopération Sud-Sud. En outre, il s'est engagé à soutenir davantage son redressement économique, les projets de l'IRB et les vaccins pour enrayer la progression de la COVID-19. En ce qui concerne l'Asie occidentale, il a évoqué la proposition de la Chine de créer une plateforme de dialogue multilatérale dans le Golfe pour garantir la paix et la sécurité.

Le partenariat stratégique global de la Chine avec la Russie est un exemple de confiance mutuelle stratégique et a prouvé sa résilience dans la lutte contre le double virus, de la  COVID-19 et de la politique, notamment, en ce dernier domaine, les révolutions de couleur et les campagnes de désinformation. Le ministre des affaires étrangères, M. Wang, a annoncé qu'ils renforceront la synergie entre l'IRB et l'Union économique eurasienne, et que les deux pays continueront à défendre l'ordre mondial centré sur les principes des Nations unies, sur le multilatéralisme, sur le droit international et les normes internationales. Les liens avec l'Inde sont également importants, a-t-il déclaré, car la coopération entre les deux plus grandes nations en développement du monde fait partie intégrante de ce qu'il prédit être le siècle asiatique. Quant aux liens entre l'ANASE et l'Amérique latine, ils sont marqués par la coopération dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, par l'amélioration des échanges commerciaux et par la confiance.

Il ressort de tout cela que le nouveau modèle chinois de relations internationales n'est en fait pas si nouveau que cela, mais qu'il s'agit essentiellement d'une renaissance de l'ordre mondial que l'ONU avait envisagé dès sa fondation, mais qui n'avait pas encore pu se concrétiser en raison de la guerre froide et des efforts infructueux de l'Amérique pour imposer son hégémonie unipolaire. Cette observation cruciale démonte les fausses affirmations selon lesquelles la Chine serait une "puissance révisionniste". Elle ne "révise" rien du tout, mais plaide plutôt pour un retour aux principes consacrés par les Nations unies dans l'ordre né après la-Seconde Guerre mondiale, avec toutefois des réformes progressives mises en œuvre de manière responsable afin de garantir une plus grande représentation des autres pays en développement. Ce modèle de relations internationales créera inévitablement une communauté d'avenir partagée.

 

Taiwan Face à l'Irrédentisme Chinois

Mer-de-Chine-les-enjeux-reveles-par-l-accrochage-entre-une-fregate-francaise-et-la-flotte-chinoise.jpg

Café Noir N.14

Taiwan face à l'irrédentisme chinois

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
Émission du Vendredi 12 mars 2021 avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed
 

mercredi, 10 mars 2021

Au Brésil, que pourra faire Lula ?

1037120024_0 21 2199 1211_1000x541_80_0_0_7a2777ca209ade94d09e002633508d5a.jpg

Au Brésil, que pourra faire Lula ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Peut-on penser que l'annulation de sa condamnation pour corruption par un juge de la Cour Suprême le 8 mars 2021 permettra à l'ex-président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, dit familièrement Lula de retrouver une activité politique ?

Désormais il pourra se présenter contre l'actuel président Jair Bolsonaro à la présidentielle de 2022. Selon des sondages, il n'est pas exclu qu'il soit élu. Son parti, le Parti des Travailleurs, bien représenté dans les milieux populaires, le poussera certainement dans ce sens.

Lula avait succédé à l'emblématique présidente Dilma Roussef, destituée au prétexte de maquillage des comptes publiques par le Sénat brésilien en août 2016 au terme d'une procédure montée en ce sens par l'opposition. Celle-ci ne lui pardonnait pas d'envisager pour redresser la situation économique de nationaliser les considérables gisements pétroliers et gaziers qui font l'essentiel de la richesse du Brésil.

Lula a déjà passé un an et demi en prison au prétexte de corruption, d'avril 2018 à novembre 2019, avant d'être libéré sur décision collégiale de la Cour suprême. En prison, il n'avait guère été traité mieux qu'un condamné de droit commun. Au moment où il avait été incarcéré, l'ancien chef de l'État était donné favori des sondages pour la présidentielle d'octobre 2018.

Les chances de Lula à la prochaine élection présidentielle paraissent cependant faibles, sans même mentionner son âge, 75 ans. Les mêmes acteurs politiques ayant sans preuves sérieuses accusé l'ancienne présidente Dilma Roussef et lui de corruption pour les chasser du pouvoir ne laisseront pas faire. Ceux qui avaient provoqué son emprisonnement trouveront une raison ou une autre pour continuer à le paralyser politiquement. 

1200px-apresidentedilmarousseffdurantecerimoniacontraoimpeachmentem31demarcode2016.jpg

Il s'agit des couches supérieures de l'électorat qui détiennent toute la richesse financière du pays et refuseront le moindre retour à une politique de partage dcs richesses et à un minimum d'interventionnisme économique présentées par elles comme socialistes, sinon comme communistes.

Mais plus fondamentalement Jair Bolsonaro, l'actuel président, a toujours agi depuis son accession à la présidence comme le bras exécutif des Etats-Unis. Il se rend souvent à Washington ou reçoit avec des égards excessifs l'ambassadeur des Etats-Unis ou des hommes politiques américains très proches du pouvoir. Pour Washington, continuer à contrôler étroitement le Brésil constitue une arme essentielle afin d'empêcher qu'à travers lui, l'essentiel du continent sud-américain ne lui échappe et puisse éventuellement se rapprocher du BRICS. Rappelons qu'initialement le B de BRICS désignait le Brésil à côté de la Russie, de l'Inde de la Chine et de l'Afrique du Sud

Voir
https://www.huffingtonpost.fr/entry/au-bresil-lula-redevient-eligible-a-la-presidentielle-de-2022_fr_6046c2f9c5b6138d0878f8ad

mardi, 09 mars 2021

La Serbie et la Bulgarie construisent le nouveau pôle énergétique des Balkans

flags_of_bulgaria_and_serbia.jpg

La Serbie et la Bulgarie construisent le nouveau pôle énergétique des Balkans

Andrea Muratore

https://it.insideover.com/

La question soulevée par l'extension de la carte des gazoducs et de leurs infrastructures collatérales, avec lesquelles la Serbie et la Bulgarie visent à se tailler une place dans le jeu de l'énergie en Europe de l'Est reçoit peu d'attention. Belgrade et Sofia travaillent dur pour devenir des plaques tournantes fondamentales pour les routes de l'or bleu et pour se positionner stratégiquement dans la nouvelle géopolitique des gazoducs qui façonnent les routes et les équilibres entre l'Europe de l'Est, la Méditerranée et la région du Caucase.

En décembre, la construction du gazoduc Balkan Stream a été achevée, le complément européen de l'infrastructure Turkish Stream avec laquelle Ankara et la Russie ont créé une nouvelle voie d'accès pour le gaz vers le marché européen. Dans les documents officiels, le gazoduc, dont le nom a été proposé par le Premier ministre bulgare Boyko Borisov, est défini comme "l'expansion de l'infrastructure de transport de gaz naturel de la société Bulgartransgaz, qui s’effectue parallèlement au gazoduc principal du Nord jusqu'à la frontière entre la Bulgarie et la Serbie" : c’est une prémisse nécessaire pour l'expansion du tracé vers la Hongrie que souhaite Viktor Orban.

southern-corridor-2-en.jpg

Le choix des pays que nous évoquons dans cette analyse va dans le sens de la construction de hubs régionaux destinés à permettre des interactions avec une multiplicité de fournisseurs. Par conséquent, la vision de Borisov et du président serbe Aleksandar Vučić de transformer les deux pays en un centre régional stratégique de distribution de gaz ne peut se limiter à une connexion russo-turque mais doit inclure d'autres options. Tout cela pour finaliser, entre autres, un projet d'expansion de la demande intérieure, et donc la garantie d'un approvisionnement à bas prix pour les populations des deux pays. La Bulgarie, dans le même temps, doit tenir compte de la stratégie énergétique européenne qui ne voit pas d'un bon œil une augmentation de la dépendance vis-à-vis de Moscou.

_45891665_nabucco_south_stream_gas_pipelines_map466.gif

Par conséquent, à un niveau intégré, Sofia et Belgrade explorent d'autres options, notamment l'Interconnecteur Bulgarie-Serbie (IBS) "béni" par Bruxelles, dont le chantier a récemment reçu la visite de la ministre bulgare de l'énergie Temenuzhka Petkova et du vice-premier ministre et ministre serbe de l'énergie Zorana Mihajlovic, et qui vise à construire une "liaison" de 120 km reliant les terminaux bulgares de Dimitrovgrad aux terminaux serbes de Nis afin d'ouvrir les portes de l'Europe également au gaz azerbaïdjanais provenant de la région de la mer Caspienne et au gaz naturel liquéfié stocké en Grèce. La société Bulgartranzgas de Sofia a annoncé qu'elle commencerait en mai et poursuivrait jusqu'en 2022 le projet de construction de la plaque tournante qui aboutira dans l'ancienne capitale romaine, la plus grande ville de Serbie orientale, et façonnera de nouveaux équilibres dans les routes énergétiques européennes.

Cette phase ouvrira la porte à un chevauchement entre les routes qui amènent le gaz russe au Vieux Continent et celles qui "pêchent" le gaz azéri, l'amenant à l'Ouest vers l'Italie avec le gazoduc Tap. A cela s'ajoutera le gaz naturel liquéfié dont la Grèce veut devenir un hub euro-méditerranéen avec le projet du Terminal de Stockage et de Regazéification (FSRU) d'Alexandroupolis, détenu à 20% par la société bulgare et qui peut fournir une capacité de stockage de 170.000 mètres cubes. Alors qu’IBS permettra un flux de 1,8 milliard de mètres cubes et aussi la possibilité d'ouvrir un marché sous-régional en ouvrant le flux inverse entre la Serbie et la Bulgarie.

Le projet IBS donne une perspective européenne à la stratégie serbo-bulgare, favorise le dialogue entre Belgrade et Bruxelles et promet d'apporter le développement et la croissance dans le domaine de l'énergie à deux pays aux économies fragiles et éprouvés par la pandémie. Elle témoigne du fait que la plus grande valeur ajoutée sur les marchés de l'énergie aujourd'hui est obtenue sur le front des infrastructures. L'investissement nécessaire de 85,5 millions d'euros verra également l'implication de la Banque européenne d'investissement, à la pointe du financement de projets à fort effet multiplicateur et à forte valeur ajoutée.

South_Stream_map.png

Les conséquences pour la sécurité énergétique européenne peuvent être importantes, ainsi que celles pour la nouvelle perception géopolitique de la zone des Balkans, dans laquelle la Serbie et la Bulgarie peuvent devenir des points de référence sur ce marché stratégique. Ouverture à de nouvelles connexions pouvant intégrer les espaces qui vont de l'Europe de l'Est à la mer Caspienne, en passant par la mer Noire, dans un ensemble uni par la convergence des intérêts énergétiques et économiques. À cheval sur l'Est et l'Ouest, entre des acteurs majeurs tels que l'UE, la Russie et la Turquie, les petits et moyens acteurs régionaux cherchent leur propre espace. Les Balkans sont vivants et ne sont donc pas seulement un "objet" de la grande dynamique historique, comme le confirment d'autres mouvements comme celui posé par la Roumanie dans le domaine énergétique de l'hydrogène. La Serbie et la Bulgarie avancent avec un pragmatisme et un opportunisme qui confirment leur compréhension de l’enjeu en cours.

La Sibérie, ventre mou de la Russie?

toundra-d-été-21201649.jpg

La Sibérie, ventre mou de la Russie?

Par Tommaso Minotti

http://osservatorioglobalizzazione.it/

77% du territoire russe est formé par une Sibérie sans réelles frontières. Dans cette région inhospitalière, où l'on ne compte que trois habitants au kilomètre carré, se concentrent 70 % des ressources pétrolières et gazières de la Fédération de Russie. Cela fait de la Sibérie une région stratégiquement importante pour Moscou. Le problème est que de plus en plus de Sibériens se sentent exclus des accords commerciaux lucratifs que la Russie et la Chine scellent dans la région. Ce sentiment provoque du ressentiment, surtout envers Moscou, qui est considérée comme une force étrangère, capable seulement d'exploiter la région sans rien donner en retour. Et c'est dans ce contexte potentiellement dangereux pour l'intégrité territoriale et le bien-être économique de la Russie que se développent les pulsions régionalistes, déjà présentes dans l'histoire mais restées longtemps en sommeil.

Contexte historique : quand la Sibérie ne se considérait pas comme russe

Déjà à l'époque tsariste, il y a eu des dérives séparatistes et régionalistes de la part d'éléments de la haute société sibérienne. Le premier d'entre ces contestataires fut Nikolaï Novikov, qui a émis une théorie sur une Sibérie indépendante dès 1838. En 1863, il y a eu une tentative de rendre cette immense région autonome, mais elle a été réprimée. Les principaux théoriciens de cette expérience, certes irréaliste, ont été avant tout Afanasy Shchapov, mais aussi Potanine et Yandritsov. Le premier, surtout, était le principal théoricien de l'oblstnichestvo, c'est-à-dire du régionalisme aux impulsions indépendantistes.

5ba6cb738082e2c66699ffdbe5eef12e.jpg

Map-of-Russian-population-density-Siberian-density-is-often-below-1-per-km-2-Source.png

Un partisan de la Sibérie indépendante fut également l'un des penseurs et fondateurs de l'anarchisme : Bakounine. Pendant la guerre civile russe qui a suivi la révolution d'octobre, les régionalistes sibériens se sont rangés du côté des Blancs, plus précisément de l’Amiral Koltchak. Mais ils ont d'abord créé un gouvernement autonome de Sibérie de courte durée, basé à Tomsk. Le gouvernement a été de courte durée car il a été décidé de soutenir les ennemis des bolcheviks sans essayer d'obtenir l'indépendance de la Sibérie.

À l'époque soviétique, les autorités centrales ont décidé de diviser les provinces de ce territoire sans fin afin d'avoir un contrôle plus efficace sur l’ensemble des terres sibériennes. Les poussées autonomistes semblaient perdre du pouvoir. Cependant, avec l'effondrement de l'URSS et l'arrivée de Poutine au pouvoir, il y a eu un changement de politique dans l'administration du territoire sibérien. Il a été décidé de fusionner les oblasts, ce qui s'avère contre-productif car les velléités régionalistes refont alors surface.

Un danger pour la Russie ?

Les Sibériens développent un certain ressentiment envers Pékin et Moscou, même s'ils ont été culturellement influencés à la fois par la Chine et, bien sûr et dans une bien plus large mesure, par la Russie. En ce sens, nous assistons à une véritable floraison des activités régionalistes dans les domaines les plus variés.

Manifestations, séminaires, propositions de référendum sur une plus grande autonomie de la Sibérie et diverses autres initiatives en ligne. Le web est un véhicule efficace pour les mouvements régionalistes, dont le plus important est celui qui s’est donné pour nom les "Vrais Sibériens". Mais la montée du régionalisme ne se limite pas au web.

Un séminaire sur l'indépendance de la Sibérie a été présenté à l'université d'Irkoutsk. Il aurait été parrainé par un département américano-sibérien, mais aucune information plus détaillée n'est disponible à ce jour. L'exposition d'art "Les États-Unis de Sibérie" a fait beaucoup de bruit, mais seulement en Russie. A côté de ces initiatives culturelles, il y a des mouvements politiques. En plus des initiatives nées sur Internet, il existe également des organisations plus profondément ancrées dans le territoire, dont la plus importante est le ‘’Mouvement sibérien’’. Enfin, il convient de noter un fait intéressant, même s'il n'en est qu'à ses débuts. De plus en plus de gens dans cette partie de la Russie se disent "Sibériens" et de moins en moins "Russes". Des signes petits mais révélateurs de quelque chose qui bouge.

1200px-Flag_of_Novosibirsk_oblast.svg.png

Drapeau de la région de Novosibirsk.

Protestations en Sibérie

Mais il n'y a pas que les initiatives culturelles et les mouvements politiques dont l'influence réelle est difficile à établir. Des manifestations ont également eu lieu, presque toutes avec un épicentre à Novossibirsk. En 2011 et 2012, la ville a été touchée par des manifestations dont le moteur était également régionaliste. La colère contre Moscou et la politique du Kremlin, perçue comme éloignée des intérêts des Sibériens, était particulièrement vive. En 2014, une marche pour la fédéralisation de la Sibérie a été interdite par les autorités gouvernementales. Un autre symptôme qui indique que quelque chose bouillonne dans la marmite. Enfin, en juillet 2020, à Khabarovsk, entre cinquante mille et quatre-vingt mille personnes sont descendues dans la rue pour protester contre l'arrestation du gouverneur Furgal. Il était très aimé par son propre peuple, mais n'était pas apprécié par les dirigeants du Kremlin, qui le considéraient comme déloyal. La foule, bien que n'ayant pas déclaré d'intentions régionalistes, était cependant hostile à Moscou et à l'État central. Enfin, autre signe de l'attention croissante du gouvernement central, deux blogueurs régionalistes nommés Loskutov et Margoline ont été mis sous étroite surveillance par les autorités judiciaires.

Une question politique

Mais quelles sont les caractéristiques du régionalisme sibérien, particulièrement fébrile à Omsk. Cette ville est devenue le nouveau centre autonomiste de la région. Revenons sur les particularités des poussées qui commencent à se produire en Sibérie. Tout d'abord, il faut dire que le soutien aux nombreuses initiatives qui ont été discutées ci-dessus est politiquement transversal. Le régionalisme n'est pas hégémonisé par un seul parti mais est soutenu par diverses composantes hétérogènes, pour l'instant nettement minoritaires, émanant de presque toutes les organisations politiques présentes sur le territoire. Une autre caractéristique est l'opposition à la politique financière de Moscou dans la région. Comme la région est la principale source de richesse de la Russie, la Sibérie souhaite une baisse des impôts. En bref, on croit, en Sibérie, que les relations ne sont pas équilibrées mais, au contraire, nettement déséquilibrées en faveur de la Russie occidentale. Enfin, le régionalisme bénéficie également d'un certain soutien dans les institutions. On l'a vu dans l'affaire Furgal, où la colère contre la destitution d'un homme politique populaire s'est combinée à une intolérance mal dissimulée envers Moscou, avec des connotations clairement régionalistes.

unsibd.jpg

Pour l'instant, le Kremlin a réagi en essayant de centraliser le plus possible. Bien que les impulsions régionalistes n'aient pas été jusqu'à présent particulièrement puissantes ou importantes, il est toujours nécessaire de garder un œil sur la situation en Sibérie. Région cruciale pour la Russie, qui tire l'essentiel de ses richesses de cette terre sans limites et peu peuplée, la Sibérie risque de devenir la prochaine cible américano-occidentale pour lancer l'assaut contre la Russie qui a d'abord vu l'effondrement de l'Ukraine puis du Belarus dans son environnement proche. La nouvelle administration américaine veut continuer sur la voie belliciste déjà empruntée par Obama, dont elle a recyclé de nombreux ex-collaborateurs : elle entend, sans fléchir, exercer une pression maximale sur la Russie.

Sans oublier le fait que la Chine bénéficierait elle aussi de la faiblesse de la Russie dans la région. Surtout parce que le Céleste Empire a déjà l’avantage d’une proximité géographique qui facilite l'exercice de son influence. Mais pour l'instant, ce ne sont que des hypothèses. Il n'en reste pas moins que le régionalisme sibérien fait son retour.

À propos de l'auteur / Tommaso Minotti

Né en Brianza en 2000. Étudiant en histoire à l'université de Milan, il est passionné par la politique nationale et internationale. Il s'intéresse principalement aux relations entre les nations. Il s'intéresse particulièrement aux questions sociales et économiques qui lient les différents États et garde toujours un œil sur l'histoire. Il collabore également avec L'Antidiplomatico où il gère l'espace "Un altro punto di vista" (‘’Un autre point de vue’’).

lundi, 08 mars 2021

La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

c6375896-5310-11ea-8948-c9a8d8f9b667_image_hires_022426.jpg

Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/mars/du-monde-harmonieux-au-r-ve-chinois-la-chine-et-sa-strat-gie-de-s-curit

Du "monde harmonieux' au "rêve chinois"

La Chine et sa stratégie de sécurité

La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

Deuxième partie

par Irnerio Seminatore

Texte reparti en deux sous-titres:

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE. GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE

(première partie; cf. : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/02/28/du-monde-harmonieux-au-reve-chinois-la-chine-et-sa-strategie-de-securite.html

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE?

(deuxième partie)

***

TABLE DES MATIÈRES

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

De la "défense passive en profondeur"(Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La puissance nationale comme stratégie

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

L'asymétrie, son concept et sa définition

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE ? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues
L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

***

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

Depuis la normalisation des relations avec les États-Unis, lors de la visite de Nixon et de Kissinger à Mao Zedong en 1972, nous assistons à une surprenante montée en puissance, civile et militaire, de la Chine, destinée à jouer un rôle de plus en plus grand en Extrême Orient, dans le Pacifique, dans l’Asie du Sud-Est et en Asie centrale, mais aussi à affirmer sa marche vers la prééminence planétaire, par une diplomatie active dont la place centrale est représentée par ses rapports avec les USA.

Kissinger_Mao.jpg

Les rapports avec les USA ont été qualifiés par des officiels de Pékin, sous la Présidence Hu Jintao (2003-2013), comme "un partenariat stratégique et constructif tourné vers le XXIème siècle".

Ces déclarations ont constitué le fondement d’une "diplomatie asymétrique", dont la doctrine stratégique reposa sur la politique des "quatre non" : "Non à l’hégémonisme, non à la politique de force, non à une politique de blocs, non à la course aux armements".
En termes opératoires, cela signifia la préférence accordée aux relations bilatérales dans le règlement des contentieux frontaliers, l’utilisation active des relations multilatérales au sein des organisations régionales et, enfin, l’emploi des bénéfices de la croissance pour faire face aux différends politiques croissants avec un esprit de négociation et de compromis

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

La stratégie triangulaire de la Chine résulta d'une articulation d'objectifs corrélés:

- isoler les USA, en attisant les contradictions entre leur rôle mondial et celui de garant politico-militaire de la sécurité du Japon

- fomenter les craintes encore très vives des pays asiatiques, contre une éventuelle remilitarisation et nucléarisation de l'Empire du Soleil Levant, en mettant en crise le système de sécurité nippo-américain, qui visait à contenir la Chine,

- enfin, faire prendre conscience aux États-Unis que, pour assurer leur influence en Eurasie et pour maintenir leur stratégie de présence en Asie centrale et en Asie-Pacifique, ils devaient réorienter radicalement leurs alliances et opter pour un véritable partenariat géopolitique, de portée mondiale, avec la Chine, puissance de la terre, qui est à considérer, théoriquement, comme l’allié naturel des États-Unis, puissance de la mer.

Ainsi, les relations sino-américaines passeraient de la posture d’un affrontement éventuel, à la posture d’un condominium planétaire, autrement dit à celui d’un duopole de puissance inédit et dés-occidentalisé, asiatisé et sinisé.

Deux problèmes interdépendants se posaient alors aux États-Unis et en Asie Extrême Orientale:
- la définition des "limites" à assigner à la Chine dans son aspiration à devenir une puissance régionale dominante et le seuil de dangerosité acceptable pour accéder au rang de puissance globale.

China and demo ACCORD-Conflict-Trends-2014-1-4.jpg

CHINAFRICA.jpg

Quelle aire d’influence lui serait-elle reconnue? Quel espace de manœuvre avec Taïwan, la Malaisie, la Birmanie, pour le contrôle du détroit de Malacca et du goulet de Singapour, et quel déploiement des capacités militaires permettraient à la Chine d’exercer une maîtrise maritime des voies d’accès du Japon au pétrole du Golfe et du Moyen Orient et aux marchés de l’Europe Occidentale et Orientale ?

En conclusion, beaucoup d’inconnues et d’incertitudes planaient à l'époque sur la stabilité régionale en Extrême Orient ainsi que sur les poussées nationalistes qui tiennent encore en éveil l’Asie, aux immenses disparités, économiques, politiques et culturelles, marquées également par un retour prononcé aux jeux d’influences et à la "Balance of Power".

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

La politique étrangère chinoise construit l’avenir sur une mutation de taille, dictée par sa transformation de puissance mondiale classique en puissance globale, un type de puissance qui est en même temps pluri-dimensionnelle et « hors limite » ; une puissance terrestre, maritime, spatiale et en réseau.

3172-85755.jpg

Li Zao Xing.

La Chine, d’après le Ministre des Affaires Étrangères, Li Zao Xing se prépare-t-elle à atteindre des "ambitions démesurées grâce à une politique extérieure mesurée"?
Le but de la politique chinoise de construire sur le long terme et au courant du XXIème siècle, "une société d’aisance moyenne", ne peut être atteint que dans un contexte international favorable et celui-ci serait caractérisé par une "paix mondiale prolongée" et "une ère nouvelle, combinant alliances et affrontements: une ère de non guerre (n.d.r.-mondiale ou systémique)".

C’est dans ce contexte de quête de la suprématie globale, que doivent être lus les efforts inhabituels de la "diplomatie de l’apaisement", pour mettre un terme aux multiples tensions territoriales avec les pays frontaliers, le long des lignes de frontières terrestres parmi les plus longues du monde (protocole d’accord entre la Chine et l’Inde du 11 avril 2005, accord de Vladivostok du 2 juin 2005 entre Russie et Chine).

Il s’agit-là d’ententes pacifiques à haute importance stratégique entre les deux puissances majeures de l’Eurasie, la Russie et la Chine, dont la signification a été de
jouer à la pression démographique au Nord, dans les zones inhabitées de la Sibérie Centrale et Orientale et de créer des liaisons d’assurance et de confiance au Sud, dans le but de créer des liens de vassalité et de déférence avec les pays de l’ASEAN.

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

Ici, l'entente pacifique renforcée, par une stratégie de sécurisation des voies maritimes dans les mers de Chine du Sud, acquiert une dimension plus offensive vers l'Océan Pacifique, par le développement de capacité d'interdictions navales et spatiales, mais cette dimension est encore de théâtre.

En effet la Mer de Chine Méridionale devient un des théâtres géopolitiques parmi les plus critiques de la planète, car se superposent ici les projections d'influence de la Chine, à caractère expansif et le rôle régional des États-Unis, à caractère défensif. Les premières remettent en cause la stabilité régionale, le deuxième préfigure un "soft containment" global d'un type nouveau. Les perspectives changent encore en se plaçant au niveau planétaire ou systémique. A partir de discours d'Obama à Tokyo en novembre 2009, la politique de l'Administration américaine visera à définir les États-Unis comme "une Nation du Pacifique" , ce qui explique le nouveau "grand jeu" qui se dessina à partir de là, entre les États-Unis et la Chine, en mer de Chine méridionale. En effet, le désengagement des USA de l'Irak et du Pakistan permit un réengagement américain en Asie-Pacifique, dans le but d'en faire une priorité géopolitique pour le XXIe siècle.

1446036900_unlike-most-other-territorial-disputes-south-china-sea-disputes-does-not-revolve-around-two.gif

Cet réengagement des États-Unis se définira comme projet de partenariat, liant valeurs et intérêts américains, par la création d'une grande aire de libre-échange dans la zone Pacifique et comme renforcement du dispositif et des alliances militaires (ANZUS) défiant les ambitions régionales de la Chine, à propos des îles Paracels. Le cadre de ces disputes territoriales se situait entre Beijing et quatre pays de l'ASEAN (Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, et Taïwan). Or, dans la perspective d'un monde multipolaire et de plusieurs types de menaces, les États-Unis resteraient en retrait et laisseraient leurs alliés se prendre en charge par eux-mêmes, n'intervenant, par hypothèse, qu'en dernier recours. Il s'agirait dans ce cas d'un "rééquilibrage stratégique à distance". Pourquoi cette ruse et à partir de quelle conception? Christopher Laye a développé en 1997 l’idée selon laquelle, en cas d'hégémonie incomplète, le contrôle régional sur la montée en puissance d'un acteur à vocation hégémonique, visant à maximiser la puissance ou la sécurité, peut être délégué à un État-tiers allié ou à plusieurs États régionaux de première ligne. Dans le cas de la Chine au Japon, à la Corée et à l'Australie. Dans l'hypothèse d'un échec, la puissance hégémonique aurait l'obligation d'intervenir, pour rétablir le "statu-quo" ou la stabilité, directement ou avec son système d'alliances, car la stabilité du système dépendrait de la puissance dominante.

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Avec le passage de l'ère Deng Xiaoping à celle de Xi JInping,la Chine est elle passée d'une politique de "modernisation et d'ouverture", axée sur intégration dans l'ordre mondial à une trajectoire de grande puissance, orientée vers une stratégie, une ambition et un grand défi à l'ordre hégémonique, à la quête de sa prééminence? En situation de pente vers un terrain d'affrontement, la Chine est elle prête à en payer le prix, que la sophistication des nouveaux systèmes d'armes rend plausible, celui d'une "guerre nucléaire limitée" ? L'hégémonie américaine est-elle totalement dépassée et la guerre inter-étatique est elle encore une menace pour la paix mondiale? Et surtout a-t-elle encore une fin et laquelle? Au moment où les États-Unis semblent entamer un déclin relatif et la démocratie américaine présente des fissurations illibérales, la reconfiguration du système international, en Europe et en Asie, est susceptible de devenir une source de dangers. Le processus de diffusion de puissance permet l'ascension de nouveaux États forts qui modifient la "Balance of Power" mondiale, créant de nouvelles sources d'instabilités. Le vieux système de la bipolarité, devenu unipolaire, puis tendenciellement multipolaire et, sur fond de démondialisation, tri-penta-polaire, acquerra en perspective et à nouveau un visage bipolaire, à une échelle planétaire amplifiée. La propension à l'instabilité et à la guerre inter-étatique d'une telle configuration est au moins équivalente à sa tendance à la stabilité. l'inconnue objective étant dans la fragmentation politique, interne et internationale et dans les facteurs de violence transnationaux en tout ordre, ethniques, religieux et civilisationnels. Ceux-ci compliqueront les calculs des puissances majeures du système, accroissant le désordre.

Ainsi, face aux résurgences des diplomaties réalistes à raisonner en termes de rapports de forces, de course aux armements et de budgets comme dans les deux grands siècles (XVIIème et XIXème) de l'équilibre de puissances et de la politique de cabinet (ou chambre des boutons nucléaires), la transition géopolitique et stratégique de nos jours, sera difficile à gérer; en particulier entre les États-Unis et la Chine, et entre la Chine et la Russie, et la Chine, le Japon et les deux Corées, sans parler du Pakistan et de l'inde et, au Grand Moyen Orient, entre la Turquie, la Syrie, Israël, l'Iran et les pays du Golfe. La multipolarité d'aujourd'hui, différente en nombre et en dangerosité par rapport à sa forme antérieure, engendrera des instabilités browniennes, qui affecteront à nouveau l'Europe, si les États-Unis s'en retireront et les vieilles méfiances et les vieux antagonismes renaîtront entre les pays du vieux continent. Ça sera à ce point qu'un grand moment d'opportunité venant d'Asie, dominera le péril stratégique à Taïwan et la Chine millénaire pourra alors inverser la prééminence hégémonique, s'affirmant par la force et la glorification de la force.

a92bbb42-f881-4f97-9f71-8245600f7533.jpg

Les manœuvres navales conjointes de l'Iran, de la Russie et de la Chine dans l'Océan indien et le Golfe Persique, du 16 février 2021, alors que l'Otan organisait un sommet sur la "rivalité stratégique" à l'encontre de la Russie et de la Chine, ravivent la rivalité avec l' Amérique et provoquent des tensions qui rappellent la mise en place d'une sorte de "guerre froide" à caractère bipolaire, sur fond de lutte d'influences multipolaires. Cette stratégie n'est pas sans rappeler la pertinence des intérêts vitaux de chaque puissance, bref le rappel d'une menace régionale, fondée sur des structures capacitaires asymétriques et en ascension, remettant en cause la présence américaine et sa légitimité.

Il s'ajoute que Xi Jinping lui même a soufflé sur le feu par une rhétorique guerrière à Shautou, port militaire de la Chine méridionale, invitant les soldat de l'ALP à se tenir "prêts à mener une guerre" contre la "province renégate de Taïwan", le 13 octobre 2020.

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Dans ce contexte, les théories de la "montée pacifique" et d'un "monde harmonieux" dépendent du niveau d'assurance qui peut être obtenu par la diplomatie et du degré de confiance, induit par la stabilité régionale et locale. Elles peuvent être compromises par le développement de la technologie et des systèmes d'armes, conçus en vue d'acquérir une avancée stratégique significative, qui amène en retour à une course aux armements et à des risques de conflits. C'est au sujet d'une analyse comparée des équilibres internationaux du concert européen du XIXème et des perturbations dans le calcul des rapports de force, successifs à l'unification de l'Empire allemand en 1871, que le débat sur le destin national de la Chine (2007-2010), a suscité une quête sur les sources de la confiance d'un pays millénaire, la tradition, l'idéologie et l'esprit national. L'analyse historique semble avoir démontré que les causes du conflit de la première guerre mondiale en Europe furent moins les structure des rapports de forces issus de l'unification allemande, que les enjeux et les ambitions des élites de l'Empire et, parmi d'autres importants facteurs, le plus influents de tous, le nationalisme et les irrédentismes diffus. La rivalité anglo-allemande, qui se greffait sur cette tension permanente, domina la politique européenne de la fin du XIXème, lorsque le monde se résumait à l'Europe et fut caractérisée par les difficultés d"une diplomatie rigide et sans flexibilité, limitant le champ d'action d'action des principaux pays du concert européen. En effet, compte tenu de l'unification de l'Allemagne montante, qui se sentait entourée d'hostilité et de limites à son influence, poussa le Foreign Office britannique à s'interroger sur la menace objective de l'Empire allemand, pour sa survie et pour la compatibilité de la montée en puissance, surtout navale, d'un pays continental, avec l'existence même de l'Empire britannique.

51s5tOl4y-L._SX355_BO1,204,203,200_.jpgAujourd'hui comme hier la compétition est devenue stratégique et la limitation des espaces de manœuvre consentis, a provoqué la lente création de deux blocs d'alliances rivales, auxquelles le nationalisme ou le souverainisme renaissants fournissent l'aliment idéologique pour les futurs belligérants. En ce qui concerne l'analogie historique, toujours imprécise, entre la situation européenne du XIXème et celle eurasienne du XXIème, la question de fond,qui préoccupait la Grande Bretagne de l'époque et les États-Unis d'aujourd'hui, était de savoir si la crise d'hégémonie et le problème de l'alternance qui iraient se manifester, étaient dus à la structure générale de la configuration du système ou à une politique spécifique de l'un ou de l'autre des deux "compétitors" et si, in fine, l'existence même de l'empire américain serait menacée et avec elle, celle de l'Occident et de la civilisation occidentale, jusqu'à sa variante russo-orthodoxe. Le Mémorandum Crowe, dans le cas de l'Allemagne montante et dans le cadre d'une analyse de la structure de la puissance, concluait pour l'incompatibilité entre les deux pouvoirs, britannique et allemand, et excluait la confiance et la coopération de la part de la Grande Bretagne. Ainsi l'importance des enjeux, interdisait à celle-ci d'assumer des risques et l'obligeait à prévoir le pire.

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues

Dans la situation actuelle, deux questionnements et deux interprétations sont possibles, du coté chinois et du côté américain Du pont de vue historique la Chine et les États-Unis représentent deux États-civilisations qui prétendent à deux types d'universalité et à deux identités hétérogènes. Celles-ci se réalisent dans le Pacifique et dans le monde de manière incompatible et antithétique, excluant la confiance entre deux cultures opposées, une ouverte et directe et l'autre allusive, symbolique et cryptée. Les institutions politiques sont nées, pour l'Amérique du refus du Léviathan et de la logique des contre-pouvoirs et, pour la Chine millénaire, de la divinisation de l’empereur et du principe absolu de hiérarchie, mentale et sociale, justifiant et pratiquant l'obscurité et le secret des propos. Une coopération authentique ne peut naître que la confiance, qu'interdisent l'idéologie politique et les défis intérieurs, de nature démographique, générationnelle et sociale en Chine, et de nature, raciale, sociale et politique en Amérique. Ici la différence capitale est dans la conception de l'ordre social, à obtenir par la concurrence, la mobilité et le progrès économique et scientifique, en Chine dans l'idéologie millénaire de la tradition et dans celle, marxisante, du parti-État, qui exclut contestations et oppositions. Toujours en termes de défis intérieurs, le consensus de masse repose en Amérique dans les classes moyennes en décomposition et en Chine d'une exclusion des droits individuels, subordonnés à la constitution de l’État. La contrainte physique et la privation de la liberté ne peuvent revêtir la même importance en Chine ou en Amérique, car l'origine des droits est en Chine dans l’État et, en Occident, dans l"individus ou dans la fiction du peuple-souverain. La question des droits de l'homme et celle de la stratégie d'endiguement de la Chine, par la réunion d'une ceinture d’États de démocratie formelle, fait partie d'un projet américain d'une reconfiguration de l'Asie et, plus largement de l'Eurasie. En réalité, la présence américaine en Asie est jugée cruciale pour le maintien de la stabilité régionale, car aucun pays en Asie ne veut vivre dans une région dominée par la Chine. La modernisation militaire de l'APL, dont le but stratégique est l'objet d'interrogations multiples, fait de la région Asie-Pacifique, plus encore de l'Asie Centrale, une zone où les risques de confrontation ne sont pas à exclure. Dans ce contexte, les Etats-Unis ont réaffirmé l'engagement de leurs pays aux côtés de certains pays de l'ASEAN et surtout de l'ANZUS (USA, Australie, Nouvelle Zélande conclu en 1951), inquiets de l'influence grandissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique, en apportant une réponse au "dilemme chinois" de l'Australie, dont le défi consiste à concilier un ancrage économique de plus en plus oriental avec une diplomatie et une posture militaire clairement occidentale.

L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Cette zone est désormais inclue, d'après le "New York Times", dans le périmètre des "intérêts vitaux" de la Chine au même titre du Tibet et du Taïwan, bien qu'aucune déclaration officielle n'ait étalé cette position.

Or le Linkage entre la mer de Chine Méridionale et la façade maritime du Pacifique est inscrite dans l'extension des intérêts de sécurité chinois.

A travers les mers du sud et les détroits transite 50% des flux mondiaux d'échange, ce qui fait de cette aire maritime un théâtre de convoitises et de conflits potentiels, en raison des enjeux géopolitiques d'acteurs comme la Corée du Sud et le Japon qui constituent des géants manufacturiers et des pays dépendants des exportations.

Une des clés de lecture de cette interdépendance entre zones géopolitiques à fort impact stratégique, est le développement des capacités navales, sous-maritimes et de surface, de la flotte chinoise.

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

index2010r.jpgL'évaluation des besoins de sécurité et de défense de la Chine est contenue dans le "Rapport 2010" concernant les forces armées du pays.

Dans ce document, intitulé la "Mission historique des forces armées chinoises", énoncé par le Président Hu-Jintao dans sa relation au XVII Congrès du Parti Communiste en octobre 2017, le pouvoir suprême assigne à l'Armée populaire de Libération "le but de construire une nation prospère dotée d'une armée forte" et trace une perspective unifiée pour les capacité de combat et de projection de forces de l'APC. Il définit ainsi, au plan maritime, une stratégie d'interdiction à large spectre, qui n'est plus focalisée uniquement sur Taïwan et inclut désormais la Mer Jaune, dans laquelle patrouillent les flottes du Japon et de la Corée du Sud.

Bien que l'actuelle capacité d'interdiction de la flotte chinoise tienne à distance de la frontière maritime de la Chine les flottes étrangères, la mise en mer de la plus importante flotte sous-marine et amphibie d'Asie est en train de combler et de surmonter les vieilles carences d'un support satellitaire d'appui, pour l'identification des cibles mobiles.
Il s'agit là d'un point-clé opérationnel qui influence la stratégie militaire générale et les capacités de combat dans un contexte informatisé.

Au plan général, la prise de conscience de l’indépendance des rôles entre le premier atelier du monde et le premier consommateur d’énergie et de matières premières de la planète, part de l'acquisition d'un point de force, "la zone économique chinoise", premier pôle mondial de croissance après les USA et avant le Japon et l’Allemagne. Ces objectifs imposent à la Chine une exigence de sécurisation des voies maritimes qui lui dictent une stratégie, dite du "collier des perles", visant à jalonner le couloir maritime des importations pétrolières entre le Golfe et le détroit de Malacca, en modernisant le port de Gwadar et celui de Chittagong en Bangladesh. Cette stratégie a conduit également la Chine à adopter une politique d’approvisionnement et de sécurité énergétique duale, maritime et terrestre.

C'est à partir de cette exigence de sécurisation et d'autonomie stratégique qu'est né à Astana le projet OBOR (One Belt, one Road) de 2013, reprenant le parcours des vieilles  Routes de la Soie.

Puissance de la terre, la Chine, rivalisant avec la puissance de la mer, entend manœuvrer, en cas de conflit, par les lignes intérieures du continent, sans dépendre d'une société extérieure à l'Asie.

file-20200415-153330-cywjm7.jpg

aabce181aca9781a95f2716a3ffd93cf.jpg

En Eurasie, marquée par la diversités des États et des institutions, la dominance continentale est passée de la Russie à la Chine et le resserrement des alliances prendra la forme d'une activation du réseau des routes de la soie, modifiant le rapport des forces global.

En effet la guerre, selon Sun Tzu, ne se gagne pas principalement à la guerre ou sur le terrain des combats, mais dans sa préparation ou plus modernement dans sa planification. Autre naturellement est la victoire à la guerre selon son concept.

Les risques de conflit instaurent en tout cas une politique ambivalente, de rivalité-partenariat et d'antagonisme.

Il s’agit d’une politique qui a pour enjeu le contrôle de l’Eurasie et de l’espace océanique indo-pacifique, articulant les deux stratégies complémentaires du Heartland et du Rimland.

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

Dans la perspective d'un ordre global et à la recherche de formes d' équilibre et de stabilité à caractère planétaire, la Chine, poursuivant une quête d’indépendance stratégique et d'autosuffisance énergétique étend sa présence et sa projection de puissance vers le Sud-Est du Pacifique, l’Océan Indien, le Golfe et l'Afrique, afin de contrer les goulots d’étranglement de Malacca et échapper aux conditionnements extérieures maritimes, sous contrôle américain.

Elle procède par les lignes internes, par la mise en place d'un corridor économique et par une route énergétique Chine-Pakistan-Golfe Persique, reliant le Port de Gwaidar, au pivot stratégique de Xinjiang.

Beijing adopte la gestion géopolitique des théâtres extérieures et resserre ses liens continentaux avec la Russie.

L'influence chinoise est concrétisée par la construction d'une gigantesque "Route de la Soie", reliant le nord de la Chine à l'Europe, via le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Turkménistan.

Rien de semblable, depuis l'époque pré-impériale (VIIème siècle avant J.C.), lorsque commença la construction de la Grande Muraille, achevée par Quin (en 221 avant J.C.), après avoir conquis un à un l'ensemble des Royaumes combattants et avoir unifié ainsi la Chine.

La similitude n'est pas pour dérouter, car l'idée d'unifier l'Eurasie n'est pas lointaine de l'esprit de Xi-Jinping.

Or Obor rassemble à un véritable "Cheval de Troie" de l'âge moderne, destiné à faire basculer l'Histoire du côté de l'Orient Chinois.

Cette entreprise colossale pourrait avoir pour principe un précepte de Maître Sun Tzu. Dans la guerre,"trompe l'ennemi sur tes intentions!" "Une guerre victorieuse repose sur le mensonge". L'art de vaincre précède le conflit armé et l'accompagne. C'est l'art de tromper, dissimuler et manipuler.

0 h_stoIY_-1yJJDY7.jpg

Avec Obor, la Chine entend manœuvrer, à l'intérieur des terres, rivalisant dans tous les domaines, y compris les plus sophistiqués (les numériques), avec la puissance thalassocratique dominante dans l'Océan Pacifique et Indo-pacifique.

Or ce projet de modernisation et de mondialisation, présente l’entreprise de la Chine comme pacifique, une "Initiative" et pas comme une "grande stratégie", pour éloigner toute allusion à la guerre.

Ainsi l’influence de la stratégie chinoise dans les grandes affaires du monde, demeure une "question d’intérêt vital", non seulement pour la Chine et pour la paix, mais également pour la survie de Chung Kuô et la stabilité régionale et mondiale au XXIème siècle.

Bruxelles le 7 mars 2021

samedi, 06 mars 2021

Les terres rares, le cobalt et l'empire mondial de la finance. Ce qui se passe réellement derrière la haute technologie et l'« économie verte »

terres-rares.jpg

Les terres rares, le cobalt et l'empire mondial de la finance. Ce qui se passe réellement derrière la haute technologie et l'« économie verte »

Par Cristiano Puglisi

Ex : https://blog.ilgiornale.it/puglisi/

Derrière la nouvelle guerre froide silencieuse entre l'Occident américain et l'Eurasie tournée vers Pékin, se détache, menaçante, l'ombre de l'empire mondial qui franchit les frontières des différents acteurs étatiques impliqués. Il s'agit de l'empire mondial de la techno-finance, résultat de la soudure stratégique entre les géants de la haute technologie et ceux de l'argent, le tout avec des racines fermement implantées aux États-Unis d'Amérique, le cœur du capitalisme mondial et mondialiste. Mais cela se déroule avec une vision de base qui, contrairement à celle proposée par Donald Trump et son entourage, n'a pas besoin  -bien qu'elle en ait probablement encore fait usage, sur le plan tactique-  de l'hostilité antichinoise des trumpistes ni d'affirmer la suprématie américaine en termes d'État ou de nation. Car l'empire technologico-bancaire, en réalité, sait bien que sa domination sur tout le spectre est basée sur autre chose.

Et, pour comprendre la complexité de la situation et l'extension véritablement planétaire de cette domination totalitaire, il n'y a peut-être pas de meilleur thème que celui des "terres rares", un sujet vraiment peu connu en dehors des cercles d'études stratégiques. Ce terme, connu sous l'acronyme REE (Rare Earth Elements) dérive de la découverte, faite à la fin du 18ème siècle, du chimiste et militaire suédois Carl Axel Arrhenius. Il a découvert dans une carrière un minéral, la gadolinite, à partir duquel un oxyde peu commun (d'où l'adjectif "rare") pouvait être synthétisé : le gadolinium. C'était la première des "terres rares". Les 16 autres « terres rares » ont été découvertes au fil du temps et sont allés remplir les cases vides du tableau périodique. Il s'agit de tous les métaux lanthanides : lutécium, scandium, ytterbium, lanthane, cérium, holmium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, dysprosium, europium, terbium, erbium, thulium et yttrium.

bc1c79f73c_101500_reserves-mondiales-terres-rares.jpg

ech21144028-1.jpg

terres_rares_auto.jpg

Pourquoi ces minéraux sont-ils si importants ? La réponse est simple. Sans les "terres rares", l'industrie prédominante d'aujourd'hui, la technologie, ne pourrait pas exister. En fait, ces 17 éléments sont utilisés pour produire les objets qui font désormais partie de la vie quotidienne des êtres humains et sans lesquels, peut-être, l'économie mondiale telle que nous la connaissons aujourd'hui s'arrêterait : des smartphones aux tablettes, des ordinateurs aux écrans, en passant par les cartes mères, les imprimantes, les télévisions, les aimants, les catalyseurs, les lasers et les fibres optiques. Mais les "terres rares" sont également essentielles dans la perspective de la "révolution verte" que le capital mondial soutient par tous les moyens en vue de réaliser à terme ce que le Forum économique mondial de Davos a récemment appelé la "grande remise à plat mondiale" : les éoliennes, les panneaux photovoltaïques et les batteries pour véhicules électriques seraient impossibles à produire sans ces minéraux. Enfin, la technologie militaire : même les missiles de croisière sont fabriqués grâce aux "terres rares".

Production et extraction des « terres rares » et du cobalt : l’avantage semble clairement aux mains des Chinois…

Eh bien, on s’apercevra très vite, et clairement, que quiconque possède de grandes réserves de ces matériaux a, pour l'essentiel, le destin de l'humanité entre ses mains. Ce que l'on dit souvent, dans les rares occasions où le sujet est abordé, même dans les médias dits "généralistes", c'est que la République populaire de Chine possède cet avantage concurrentiel (pour utiliser un euphémisme). Ce qui, en principe, est tout à fait exact.

La Chine possède des réserves de terres rares de 44 millions de tonnes, les plus importantes du monde si l'on pense que le Brésil et le Vietnam (en deuxième position à égalité de mérite dans ce classement particulier) n'en détiennent que la moitié, soit 22 millions. Ils sont suivis par la Russie, avec 12 millions, l'Inde avec six, l'Australie avec trois et les États-Unis d'Amérique avec "seulement" 1,4 million de tonnes. Cependant, les réserves sont une chose, la capacité de production en est une autre. Mais là aussi, la Chine domine le marché, avec une production de 120.000 tonnes par an. Ils sont suivis, dans ce classement supplémentaire, par l'Australie avec 20.000 tonnes, les États-Unis avec 15.000 tonnes et la Birmanie avec 5.000.

bambini-coltan-nigrizia-720x486.jpeg

schermafbeelding_2018-11-15_om_10.58.54.png

Compte tenu de cette situation, actuellement, environ 80% des métaux de ce type utilisés par les Etats-Unis sont importés de Chine. Ces données, ainsi que les explications supplémentaires sur la nature des guerres commerciales qui, ces dernières années, ont vu Pékin et Washington s'opposer, donnent l'idée que le jeu a déjà été largement gagné par les Chinois plutôt que par les Américains. Pour être plus clair, citant l'agence de presse européenne Euronews, "selon les données du gouvernement américain, la Chine abrite environ 36,7% des réserves mondiales de terres rares et est redevable de 70,6% de la production mondiale totale de ces métaux". Et, dans la même situation que les États-Unis, il y a d'autres réalités géopolitiques, comme l'Europe et le Japon.

Cobalt-Demand-by-Industry.png

Ajoutons à ces considérations que, outre les "terres rares" pour soutenir la production des objets électroniques mentionnés ci-dessus, d'autres matériaux sont nécessaires. Parmi tous, l'un des plus importants est le cobalt. Eh bien, ce minéral se trouve entassé en grande quantité en Afrique, pour être précis surtout en République démocratique du Congo, fournisseur, en 2017 de près de 70% de la demande mondiale totale. Un chiffre stupéfiant, encore appelé à augmenter. Il rapporte un article d'investigation, daté de 2018, de Saverio Pipitone selon lequel le prix du cobalt "de janvier 2016 à juillet 2018 a triplé, passant de 10 à 32 dollars la livre, avec des gains énormes au Congo qui profitent aux dirigeants ou aux chefs de guerre, qui sont de mèche avec les sociétés étrangères et au détriment d'au moins 100.000 travailleurs, dont 40.000 enfants – selon les données de l'UNICEF de 2014 - qui l'extraient à la main ou avec des outils rudimentaires pendant 12 heures par jour au misérable salaire de 2 dollars". Cependant, même dans cette nouvelle "ruée vers l'or" pour le cobalt africain et, en l'occurrence, congolais, la Chine semble exceller : à travers des entreprises comme le géant China Molybdenum, qui a récemment acquis la mine de Tenke, au Congo, pour la somme de 2,6 milliards de dollars, ou Zhejiang Huayou Cobalt, elle vise résolument l'hégémonie sur le marché.

maxresdefaultgreeneco.jpg

Mais dans les coulisses, la finance américaine habituelle se déplace, poussant à l’émergence d’une « économie verte »

Il y a cependant un grand "mais" à apporter à ce qui vient d'être écrit. Car, même dans les coulisses de ces géants chinois, les ficelles des marionnettistes de la finance internationale se meuvent. C'est-à-dire, une finance occidentale. C'est-à-dire, américaine. Oui, car toutes les principales entreprises chinoises (et pas seulement) impliquées dans l'activité d'extraction ont en commun la présence massive, dans leur capital social, de grands fonds d'investissement. Nous parlons de réalités telles que le Vanguard Group, en fait, le plus grand groupe mondial d'épargne gérée, avec un montant total de 5.000 milliards de dollars, basé en Pennsylvanie, mais aussi BlackRock, un fonds de capital-investissement qui, aujourd'hui, gère des investissements pour 6.000 milliards de dollars, soit trois fois le montant de la dette publique d'une nation comme la Grande-Bretagne. Mais, dans le jeu, il y a d'autres réalités, telles que les investissements fiduciaires. Des groupes, tous américains, qui ont misé sur l'économie verte. Ces groupes, après avoir été lourdement accusés d'investir dans les activités les plus anti-écologiques (comme l'exploitation minière), semblent très préoccupés par la durabilité environnementale de leurs investissements. À tel point que le fondateur et PDG de BlackRock, Larry Fink, a lui-même expliqué les raisons pour lesquelles son entreprise figurait parmi celles qui ont créé la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) : "Pour l'évaluation et la communication des risques liés au climat, ainsi que pour les questions de gouvernance qui sont essentielles pour les gérer, la TCFD fournit un cadre précieux".

Le nœud gordien des arbitres de la durabilité

L'analyste William F.Engdahl explique à cet égard que le TCFD "a été créé en 2015 par la Banque des règlements internationaux, présidée par Mark Carney, membre du conseil d'administration de Davos et chef de la Banque d'Angleterre. En 2016, le TCFD, la City of London Corporation et le gouvernement britannique ont créé l'Initiative de financement vert, dans le but de canaliser des billions de dollars vers des investissements "verts". Les banquiers centraux du Conseil de stabilité financière ont nommé 31 personnes pour former le TCFD. Présidé par le milliardaire Michael Bloomberg, il comprend, outre BlackRock, JP Morgan Chase ; la Barclays Bank ; HSBC ; Swiss Re, la deuxième plus grande agence de réassurance au monde ; ICBC Bank ; Tata Steel, ENI, Dow Chemical, le géant minier BHP et David Blood de Al Gore's Generation Investment LLC".

cryptocurrency-makes-world-economic-forum-davos-agenda.jpg

Il existe également un autre organisme qui évalue les actions des multinationales par rapport à la durabilité environnementale. Il s'agit du Sustainability Accounting Standards Board (SASB), une organisation à but non lucratif qui fournit des normes comptables pour le développement durable. "Cela semble rassurant, poursuit M. Engdahl, tant que nous n'aurons pas vu qui sont les membres du SASB qui donneront l'imprimatur au respect du climat. Les membres comprennent, outre BlackRock bien sûr, Vanguard Funds, Fidelity Investments, Goldman Sachs, State Street Global, Carlyle Group, Rockefeller Capital Management et plusieurs grandes banques telles que Bank of America-ML et UBS. Que fait ce groupe-cadre ? Selon leur site web, "Depuis 2011, nous travaillons à un objectif ambitieux de développement et de maintien de normes de comptabilité durable pour 77 secteurs". Ainsi, les mêmes groupes financiers qui, depuis des décennies, dirigent les flux de capitaux mondiaux vers les grands projets de charbon, de pétrole et d'exploitation minière deviendront désormais les arbitres de la durabilité.

L'avenir de l'économie mondiale, de ce qui est défini comme la "Grande Restitution Globale", en bref, semble, à la lumière de ce qui a été dit ci-dessus, être fermement entre les mains des géants de la finance occidentale. Il n'est donc pas excessif d'affirmer que ces mêmes géants, en détenant des investissements dans des activités industrielles telles que l'extraction de minéraux qui servent à produire tout ce qui, de nos jours, est devenu indispensable, détiennent, en fait, un pouvoir presque absolu sur l'humanité. Une situation qu'il est impossible de ne pas considérer comme terrifiante et dystopique. Mais, après tout, c'est de cela qu'il s'agit.

Les sectes de l'Occident et leurs liens avec Trump, Biden et la géopolitique

grandes-organisations-sectaires-annees-1980-1990-fontparler-delles-Ici-quelquesadeptes-Hare-Krishna-dansent-parisienne_0_1399_933.jpg

Les sectes de l'Occident et leurs liens avec Trump, Biden et la géopolitique

Par Cristiano Puglisi

Ex : https://blog.ilgiornale.it/puglisi/

Copertina-2-2021-Prima-1-scaled-1-212x300.jpgQuelles sont les sectes religieuses de l'Occident? Et quelle est leur influence au niveau géopolitique? C'est le sujet du dernier numéro, le 62ème, de Eurasia - Rivista di studi geopolitici, récemment publié et dont le titre est précisément "Les sectes de l'Occident". D'autre part, le ton utilisé récemment par certaines personnalités du monde politique et religieux de l'Occident sont apparus exaspérants et, d'une certaine manière, carrément sectaires. Un exemple est celui des lettres envoyées, en juin puis en octobre 2020, par Monseigneur Carlo Maria Viganò, ancien nonce apostolique du Saint-Siège aux États-Unis, au président américain de l'époque, Donald Trump. Lettres dans lesquelles ils parlent, en relation, pour ceux qui suivent ce blog, avec la conception désormais bien connue d'un "Grand Reset" : on, y évoquait un affrontement entre les "enfants de la Lumière" et les "enfants des Ténèbres", ces derniers s'identifiant à la faction mondialiste soutenant un retournement de type numérique et écologique dans le sillage de la pandémie de la Covid-19. Des tons tout aussi apocalyptiques sont souvent apparus dans la communication d'une partie notable des partisans de l'entrepreneur de New York, qui se réunissent autour d'acronymes tels que "Qanon".

"La propagande trompeuse - explique le directeur d'Eurasia, le professeur Claudio Mutti - n'a fait que raviver et relancer le motif de l'affrontement entre les enfants de la Lumière et les enfants des Ténèbres, qui est un leitmotiv bien ancré dans la mythologie politique américaine. Les enfants de la Lumière et les enfants des Ténèbres est en fait le titre d'un pamphlet écrit en 1944 par un théologien réformé pour représenter le duel existentiel alors en cours entre les États-Unis et l'Europe. Le thème était d'origine biblique, mais il avait déjà eu une large diffusion grâce à la Theosophical Society (fondée en 1875 à New York) et à la production littéraire du célèbre magicien Aleister Crowley, qui s'était installé à New York à la veille de la Première Guerre mondiale. La formule du "Grand Réveil", présentée par les trumpistes américains et les milieux pro-trumpistes européens comme désignant la force des idées alternative au projet mondialiste de la "Grande Restauration" (« Great Reset »), est également née dans les milieux sectaires nord-américains. Au XVIIIe siècle déjà, le pasteur Jonathan Edwards, en rappelant au "nouvel Israël" américain l'alliance conclue avec Yahvé, avait déclenché une vague de fanatisme millénariste dans toute la Nouvelle-Angleterre avec ses sermons enflammés: le mouvement du Grand Réveil (lequel, rappelons-le, fut suivi d'un deuxième, d'un troisième et d'un quatrième "Grand Réveil")".

15652504.jpg

Dans le nouveau numéro d'Eurasia, l'accent est mis tout particulièrement sur les États-Unis d'Amérique. En fait, dès ses origines, dans ce pays aux dimensions continentales qui est considéré comme "la plus grande démocratie du monde" et la patrie de la technologie, les sectes semblent se développer sans relâche. Il est donc naturel de supposer qu’existe un lien avec le protestantisme.

"Le principe fondamental du luthéranisme - observe Mutti - est le libre examen des Écritures, seule source et seule norme de la foi. Il est inévitable que la faculté attribuée au croyant individuel d'interpréter les Écritures et le rejet d'un magistère religieux imposé de l'extérieur donnent lieu à une pluralité de doctrines divergentes. Mais plus qu'en Europe, cette conception individualiste, anti-autoritaire et anti-hiérarchique trouve son environnement dans cette "demeure de la liberté" (Amérique) que Thomas Jefferson oppose à la "demeure du despotisme" (Europe). Dans un environnement dépourvu d'histoire et de traditions, où les populations indigènes ont pu être facilement exterminées, le protestantisme pouvait librement développer sa tendance congénitale au fractionnement et produire cette multitude de "dénominations" confessionnelles qui caractérise le panorama religieux américain".

5f17fd0d270000fa0ee672f7.jpeg

Des sectes de nature confessionnelle, donc, qui, comme prévu, ont acquis au fil du temps une pertinence géopolitique.

Il a été observé", poursuit le directeur d'Eurasia, "que les "nouveaux mouvements religieux" les plus diffus - comme on appelle modestement de nombreuses sectes, des Mormons à la Scientologie - sont nés, pour la plupart, aux États-Unis, tandis que d'autres groupes sectaires, nés en Europe ou en Asie, accroissent considérablement leur influence mais uniquement  après le débarquement de leurs "maîtres" en Amérique. C'est le cas de l' « Association internationale pour la conscience de Krishna », de la secte du révérend Moon, des adeptes, vêtus d'oripeaux de couleur orange, de Rajneesh ou de quelque branche dégénérée de l'ésotérisme islamique. L'importance du phénomène sectaire, d'un point de vue géopolitique, est évidente si l'on considère que l'influence exercée par les Etats-Unis a souvent pour intermédiaire les sectes qui sont nées aux Etats-Unis ou qui sont suivies par les milieux politiques américains. Suite à la victoire électorale de Bolsonaro (qui a été baptisé dans les eaux du Jourdain selon une cérémonie évangélique et a pris le nom de "Messias"), Eurasia a publié une étude sur l'influence prédominante exercée au Brésil par la secte évangélique, née du "Grand Réveil" nord-américain. Mais on retrouve une influence similaire de la même secte aux États-Unis, où, en son temps, Trump a été béni par des pasteurs évangéliques et présenté comme un messie, ou un "nouveau Cyrus" qui allait libérer le peuple d'Israël, c'est-à-dire les "vrais chrétiens" américains, de la captivité babylonienne".

wild_040218030717.jpg

L'actuel président Joe Biden se dit catholique. Pourtant, même dans son cas, les relations avec le monde sectaire ne manquent pas.

En 2014, conclut le Prof. Mutti, "en participant en tant que vice-président des États-Unis à l'allumage de la Menorah nationale et en exaltant "l'héritage juif, la culture juive, les valeurs juives" comme une partie essentielle de l'identité américaine, Joe Biden a explicitement fait référence à l'enseignement du rabbin Menachem Mendel Schneerson, chef de la secte Chabad Lubavitch, à qui il a souhaité "Que vous croissiez tous en force, toujours en force". De plus, la secte des Lubavitcher a de nombreux adeptes dans l'environnement politique américain. En 1983, le Congrès et le président des États-Unis ont décerné au rabbin Schneerson la décoration de l'honneur nationale et ont décrété que le jour de sa naissance serait proclamé "Journée de l'éducation et du partage". En 1994, à l'occasion de l'anniversaire de la déclaration Balfour (2 novembre), les deux chambres des États-Unis ont approuvé à l'unanimité l'attribution posthume de la médaille d'or du Congrès américain à Rebbe Schneerson, en reconnaissance de ses "contributions exceptionnelles à l'éducation mondiale, à la morale et à ses importantes actions caritatives". Lors de la cérémonie de remise de la médaille, le président Bill Clinton a déclaré : "L'éminence de feu Rebbe en tant que leader moral de notre nation a été reconnue par tous les présidents depuis Richard Nixon". Dans la lignée de ses prédécesseurs, l'actuel président américain peut se targuer d'une longue familiarité avec les Lubavitcher. Dès 2008, David Margules, président de Chabad Lubavitch du Delaware, a exprimé l'enthousiasme de la secte pour les positions pro-sionistes de Biden en ces termes : "Il a acquis la réputation d'être un fervent défenseur d'Israël".

il_fullxfull.1870190181_cdfm.jpg

 

jeudi, 04 mars 2021

Un Dix-Huit Brumaire et un Coup d'Etat légal en Italie

2000x1337_cmsv2_6ff1cb3f-30c4-5a23-b7cb-fa2e20bd4082-5345692.jpg

Un Dix-Huit Brumaire et un Coup d'Etat légal en Italie

Wernerius von Lothringen

Lorsque le Président de la République italienne s'adressa aux partis politiques italiens le 3 février 2021, dans le but de former un gouvernement à majorité parlementaire assurée, faisant appel à Mario Draghi comme  Président désigné du Conseil des Ministres, il ne savait pas encore qu'il aurait enclenché un processus de recomposition institutionnelle,  conduisant  à un Coup d'Etat légal.

En effet pour le Chef de l'Etat , la République c'était le Parlement et non pas le pays réel, c'était la fiction de la représentation politique  et non pas l'opinion .Le cap de la boussole historique était la Constitution républicaine et non pas le peuple , la légalité et non pas sa présomption.                                                                                                      

La droite eut beau de faire appel désespérément aux élections,pour mettre en accord légalité et légitimité,représentation et volonté populaire.

La décision du Président de la République affirma légalement le contraire. Légalement mais pas légitimement.

Le Président avait-il prévu que  l'interférence continue de la légalité et de la légitimité, aurait favorisé la transformation de la fonction  du Président du Conseil désigné, en figure consulaire ? L'investiture de ce garant de la dernière chance de la politique italienne  était bien et sans nuance  celle du Sénat de Rome dans les temps sombres de la république romaine, lorsque tombait l'épée de Damoclès sur la sécurité et la perspective de conflit aux portes: "Caveant Consules ne Respublica détrimenti capiat!". Or le Rubicon avait été franchi et dans le ballet des vas et vient des consultations ils ne manquaient que les toges immaculées des sénateurs!

Dans l'arène affolée des nouveaux convertis à la catéchèse du Salut et à son César,  le rôle du procureur des moeurs anciennes , le rôle de Cicéron,  était assuré par un femme, Giorgia Meloni, dans la fonction catilinaire de dissidente et de tribun du peuple.

Elle y assurait la voix de l'opposition et de la démocratie, en solitaire , dans un Parlement devenu soudainement docile et servile, mais globalement  épaté et hostile .

Une voix patriote, anti-unanimiste et de droite qui sera insultée, invectivée et humiliée par un professeur universitaire de gauche, assurant la profondeur de la haine de classe, dans une institution d'enseignement supérieur, publique, laïque et pluraliste. Cette institution  comme les assemblée d'étudiants et la rue en révolte,étaient aux mains, depuis 68, d'une contestation endémique, devenue post-coloniale.

La situation politique grave, d'émergence, anti-politique et insurrectionnelle de l'Italie était semblable à celle d'Espagne, de  France ou du Danemark. Guerrilla urbaine, caillassages, incendies, pillages, vols de masse . Une situation avortée, grâce à Dieu  d'un révolution improbable.

Il manquait le parti révolutionnaire, les révolutionnaires de profession, la volonté d'en finir avec le système et faisait défaut, en particulier,  l'Homme providentiel. Manquait également  la haine instinctive du peuple et la résurgence des sentiments et des préjugés des "larges masses" contre l'Etat.

En fait la défense de l'Etat était assurée par des mesures de police et guère par l'armée, car les problèmes qui étaient posés étaient ceux de la classe politique et pas du pouvoir institutionnel, de la liberté et de la tyrannie .

Les Black- Blocs n'étaient pas l'expression du peuple de souche ,mais de fauteurs de désordre et de chaos, immigrés et déracinées, inintégrables et dangereux. Ils n'avaient rien d'autre à proposer que de la destruction, de la négation et du nihilisme.

La grande nouveauté, c'était, en revanche, la variété de la protestation et l'hétérogénéité de la représentation politique, verbeuse et fragmentée.

Le paradigme du changement n'était plus l'espoir mais le retour à la légalité trahie. C'est pourquoi César et le Chef de l'Etat incarnaient l'avenir du pays et celui du menu peuple.

Le Thermidor de Draghi n"était pas encore là et Lucien Bonaparte ou Sieyès, ne tissaient nullement les ficelles de l'intrigue, derrière le calme apparent de Draghi-Napoléon.

Les petits Bolchéviks de la Ligue et les infimes Menchéviques libéraux-démocrates de  feu le Mouvement 5 Etoiles ne pouvaient préfigurer une insurrection ni une alternative à César, car les réformes du Conte-Kerenski ne pouvaient aller plus loin que les plans de Soros-Bill Gates ou Klaus Schwab de Davos, dans la réinitialisation de l'économie, finalement verte et universelle.

Une économie qui devait  correspondre aux prêches de Greta Thunberg et des coalitions sexiste  LGBT, transgenres, islamo-gauchistes, des groupes progressifs Rock et des mouvements Stormy Six, Komintern, Univers Zéro et post-coloniaux divers.

Une solution inédite en somme , national-globaliste, qui avait  intégré le souverainisme anti-européiste antérieur, rélégant Mattéo Renzi à un rôle de comédien, mode Trotski, condamné à une répétition de sa  ''Révolution permanente" et promu à une fuite en avant sans fin, destinée à s'éteindre à Mexico, par la main violente d'un vrai démocrate.

Le parti fantôme de Zingaretti, qui pensait à exister, après la "guerre ( partisane) de tous contre tous" retarda le Dix-Huit Brumaire de Draghi dans l'attente de l'élection césariste du premier Consul à substitut du Président Mattarella.

D'ici là, quelles seraient les "Ides de Mars " et qui en  sera le Brutus ?

Les tendances, les trois forces et leurs issues

Au delà de l'actualité immédiate, en quoi le "Dix Huit Brumaire" et  le "Coup d'Etat parlementaire" de Mattarella -Draghi ont ils débouchés? Quelles tendances coexistent-elles au sein de la formule politique italienne , susceptible de constituer un modèle inédit ? Et, in fine,  qui et quelle force politique s'imposeront ils?

On peut, grosso modo, identifier dans le "Gouvernement d'urgence" de Draghi trois grandes forces et trois grandes issues possibles:

- Une formule euro-césariste à la de Gaulle, très longtemps renvoyée, à caractère national-globaliste (réformes+management + démocratie restreinte+ unanimisme décisionnel + ''protagonisme européiste'')

-Une modernisation anti-bureaucratique à l'italienne (modèle de Gènes, décentralisation régionale et recentralisation nationale essentielle)

- Un status-quo amélioré (assistentialisme + destruction créatrice + subordination bruxelloise et globaliste)

La première comporterait un appui de la droite européiste et de la Ligue,  en faveur du travail et d'une ré-industrialisation technologique d'avenir, surtout au Nord du pays .

La deuxième, un rééquilibrage entre Régions et Etat et une accalmie des classes moyennes sur-taxées.

La troisième une subordination accrue à l'Union Européenne, désagrégée et sans projet, faisant de l'Italie un pays intermédiaire entre les zones développées et le Tiiers et Quart-monde; en compagnie de l'Espagne socialiste et de la France déclassée, au sein d'une Union européenne au Leadership solitaire et aggravé de l'Allemagne et des pays du Nord de l'Union.

Le Dix-Huit Brumaire du Premier Consul tranchera entre ces tendances et fera là un toilettage de l'esprit, influençant les coups d'Etats post-modernes.

Bruxelles le 2 mars 2021.

mercredi, 03 mars 2021

L'Amérique est de retour : Biden bombarde comme Trump

6XSSNQ6AMVDHTDWTQTS42FBZQ4-1.jpg

L'Amérique est de retour : Biden bombarde comme Trump

par Alberto Negri & Tommaso Di Francesco

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Biden, personnage emblématique de certains des échecs internationaux des démocrates pendant les années Obama, accueille le pape en Irak en bombardant les milices chiites en Syrie. Un voyage au cours duquel le Pape Bergoglio devrait rencontrer le grand ayatollah Sistani qui, en 2014, a donné sa bénédiction aux milices chiites pour mener la lutte contre les coupeurs de têtes de l’Etat islamique.

Bien sûr, le monde est étrange. L'"espoir démocratique", le catholique Joe Biden, exactement comme Donald Trump, court aux armes et bombarde la Syrie, à la veille de la visite du pape en Irak le 5 mars. Un voyage au cours duquel le pape François devrait également rencontrer la plus haute autorité religieuse irakienne, le grand ayatollah Ali Sistani, qui en 2014 avait donné sa bénédiction aux milices chiites pour mener la lutte contre les coupeurs de têtes de l’Etat islamique, milices qui ont joué un rôle essentiel dans la libération de Mossoul, ville martyre musulmane et chrétienne que le pape devrait visiter dans quelques jours dans le cadre de sa mission en Irak.

Aujourd'hui, les raids américains risquent de nous démontrer voire de nous avertir urbi et orbi que le climat ne doit pas être exactement celui de la paix dans la région. Le monde est en effet étrange : l'ordre du jour ne devrait pas inscrire la guerre dans sa convocation mais plutôt l'urgence sanitaire vu le Covid 19. Et puis Biden n'a pas encore pris conscience du désastre de la démocratie américaine assaillie par des "terroristes internes" - comme il les a appelés - qui ont fait des ravages au Congrès. Le voilà qui commence déjà à se décharger de la crise interne en "exportant" la démocratie par les armes.

Cette fois, Biden frappe un peu au hasard, même s'il a tué plus de vingt personnes appartenant aux milices pro-chiites, celles qui ont soutenu Assad et le gouvernement irakien dans les opérations militaires qui ont conduit à la défaite du califat, qui est toujours dangereusement en action aux frontières entre la Syrie et l'Irak. L'année dernière, c'est Trump qui a frappé au Moyen-Orient en tuant le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad, maintenant c'est Biden : mais on pouvait s'y attendre de la part d'un président qui, en 2003, a voté pour l'attaque de Bush Jr. contre l'Irak .

Biden est un type contradictoire. D'un côté, il souhaite reprendre les négociations avec Téhéran sur l'accord nucléaire de 2015 voulu par Obama et annulé par Trump en 2018, mais dans le même temps, il bombarde les alliés de l'Iran coupables, selon les Américains, de frapper leur base militaire en Irak et l'aéroport d'Erbil au Kurdistan irakien. Bien sûr, tout se passe sans la moindre preuve. Mais cela aussi fait partie de la "double norme" imposée au Moyen-Orient : les Américains et les Israéliens n'ont rien à prouver, ce qu'ils font est toujours juste.

C'est une bonne chose que Biden se soit présenté aux Européens comme le champion du multilatéralisme et des droits de l'homme en s'attaquant à la Russie et à la Chine : avec ces prémisses, il devrait au moins tuer par le truchement d’un drone le prince saoudien Mohammed bin Salman puisque, selon la CIA, celui-ci est derrière le meurtre du journaliste Khashoggi. Et pendant que nous attendons - mais cela va-t-il vraiment arriver ? - le rapport de la CIA qui le prouve, il y a des nouvelles d'un appel téléphonique "d'adoucissement" de Biden au roi Salman, pendant la nuit, sur les crimes de son fils et héritier.

Le Pacte d'Abraham entre Israël et les monarchies du Golfe, auquel le nouveau président, tout comme Trump avant lui, tient tant, pèse sur les bonnes intentions de Biden. Et on ne peut pas cacher le fait que Biden est l'une des figures emblématiques de certains des échecs internationaux des démocrates pendant les années où Obama, Hillary Clinton et Kerry ("M. Climat") tenaient les rênes du pouvoir aux Etats-Unis, alors qu'il était un vice-président connu surtout pour ses gaffes.

La preuve vivante de ces échecs est son propre homme fort, le général Lloyd J. Austin, l'actuel chef du Pentagone qui s'est dit hier confiant "que nous avons bien fait de frapper les milices chiites" qui, elles, nient toute implication dans les frappes en Irak. Devant le Sénat en 2015, le général Austin, alors commandant du CENTCOM, le commandement militaire du Moyen-Orient, a admis avoir dépensé 500 millions de dollars pour former et armer seulement quelques dizaines de miliciens syriens sur les 15.000 prévus pour combattre l’Etat islamique, qui, lui, s'est approprié toutes ces précieuses armes américaines.

Austin a également témoigné que le plan dit Timber Sycamore, géré par la CIA et doté d'un milliard de dollars, visant à évincer Assad du pouvoir, avait été lancé en Jordanie, puis décimé par les bombardements russes et annulé à la mi-2017.

Le général Austin a soulevé l'irritation et l'hilarité des Américains en découvrant une série d'échecs épouvantables dignes d'une république bananière. Mais il n'y a pas de quoi rire quand on pense à toutes les catastrophes que les États-Unis ont provoquées dans la région. Par exemple, la décision de retirer le contingent américain d'Irak : après avoir détruit un pays par des bombardements et par l'invasion de 2003 pour renverser Saddam Hussein - provoquant la fuite de millions d'êtres humains. Rappelons que cette invasion s’est déclenchée sur base de mensonges propagandistes concernant les armes de destruction massive de l'Irak. Washington a abandonné ce pauvre pays à son sort, sachant pertinemment qu'il n'avait pas les moyens de se débrouiller seul. Austin a suivi la politique d'Obama et de Clinton.

En 2014, l'Irak est submergé par la montée du califat qui, après avoir occupé Mossoul, la deuxième ville du pays, s'apprête à prendre également Bagdad : l'armée irakienne est en plein désarroi et c'est le général iranien Qassem Soleimani, avec des milices chiites, qui sauve la capitale. Et Soleimani a été tué par un drone américain à Bagdad. Pire encore : ce qui s'est passé en Syrie après le soulèvement de 2011 contre Assad. La guerre civile s'est rapidement transformée en guerre par procuration et les États-Unis, dirigés alors de facto par Hillary Clinton, ont donné le feu vert à Erdogan et aux monarchies du Golfe, dont le Qatar, pour soutenir les rebelles et les djihadistes qui étaient censés faire tomber le régime.

On sait comment cela s'est passé : les djihadistes ont envahi la Syrie puis ont inspiré plusieurs attentats à travers l'Europe mais Assad est toujours en place avec le soutien de l'Iran et surtout de la Russie de Poutine, entrée en guerre le 30 septembre 2015 en bombardant les régions de Homs et Hama. Quelques heures auparavant, Obama avait marqué son accord pour que Poutine agisse en Syrie en le rencontrant en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York.

Dans cette histoire tissée de ratés, Biden a joué un rôle, même s'il ne fut pas le premier dans le spectacle: aujourd'hui, en Syrie, il joue à la fois le rôle du canardeur tout en accueillant le pape en claironnant un bruyant "bienvenue au Moyen-Orient".

La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

210222_snmg2_espn_1527p_144-QJyZo1.jpg

La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

Par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

L'exercice OTAN Dynamic Manta de lutte anti-sous-marine se déroule en mer Ionienne du 22 février au 5 mars. Des navires, des sous-marins et des avions des États-Unis, d'Italie, de France, d'Allemagne, de Grèce, d'Espagne, de Belgique et de Turquie y participent. Les deux principales unités participant à cet exercice sont un sous-marin d'attaque nucléaire américain de la classe Los Angeles et le porte-avions français à propulsion nucléaire Charles de Gaulle et son groupement tactique, qui comprend également un sous-marin d'attaque nucléaire. Le Charles de Gaulle, immédiatement après, se rendra dans le golfe Persique.

L'Italie, qui participe à Dynamic Manta avec des navires et des sous-marins, est le "pays hôte" de l'ensemble de l'exercice : elle a mis à la disposition des forces participantes le port de Catane et la station d'hélicoptères de la marine à Catane, la base aéronavale de Sigonella (la plus grande base US/OTAN en Méditerranée) et la base logistique d'Augusta pour l'approvisionnement. Le but de l'exercice est de chasser les sous-marins russes en Méditerranée qui, selon l'OTAN, menacent l'Europe.

Ces mêmes jours, le porte-avions Eisenhower et son groupe de combat mènent des opérations dans l'Atlantique pour "démontrer le soutien militaire continu des États-Unis aux alliés et leur engagement à maintenir les mers libres et ouvertes". Ces opérations - menées par la sixième flotte, dont le commandement est à Naples et la base à Gaeta - s'inscrivent dans la stratégie énoncée notamment par l'amiral Foggo, ancien chef du commandement de l'OTAN à Naples : accusant la Russie de vouloir couler les navires reliant les deux côtés de l'Atlantique avec ses sous-marins, afin d'isoler l'Europe des États-Unis, il soutient que l'OTAN doit se préparer à la "quatrième bataille de l'Atlantique", après celles des deux guerres mondiales et de la guerre froide.

Pendant que des exercices navals sont en cours, des bombardiers stratégiques B-1, transférés du Texas à la Norvège, effectuent des "missions" à proximité du territoire russe, avec des avions de chasse F-35 norvégiens, pour "démontrer l'état de préparation des États-Unis et leur capacité à soutenir leurs alliés".

Les opérations militaires en Europe et dans les mers adjacentes sont menées sous le commandement du général Tod Wolters, de l'armée de l'air américaine, qui est à la tête du Commandement américain en Europe et en même temps de l'OTAN, le poste de commandant suprême des forces alliées en Europe revenant toujours à un général américain.

Toutes ces opérations militaires sont officiellement motivées par la "défense de l'Europe contre l'agression russe", inversant la réalité : c'est l'OTAN qui s'est étendue en Europe, avec ses forces et ses bases, y compris nucléaires, derrière la Russie. Lors du Conseil européen du 26 février, le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, a déclaré que "les menaces auxquelles nous étions confrontés avant la pandémie sont toujours là", mettant en avant "les actions agressives de la Russie" et, en arrière-plan, une menace de "montée de la Chine".

Il a ensuite souligné la nécessité de renforcer le lien transatlantique entre les États-Unis et l'Europe, comme le souhaite vivement la nouvelle administration Biden, en faisant passer la coopération UE-OTAN à un niveau supérieur. Plus de 90 % des habitants de l'Union européenne, a-t-il rappelé, vivent aujourd'hui dans des pays de l'OTAN (dont font partie 21 des 27 pays de l'UE). Le Conseil européen a réaffirmé "l'engagement de coopérer étroitement avec l'OTAN et la nouvelle administration Biden en matière de sécurité et de défense", rendant ainsi l'UE militairement plus forte.

Comme l'a souligné le Premier ministre italien Mario Draghi dans son discours, ce renforcement doit se faire dans un cadre de complémentarité avec l'OTAN et de coordination avec les États-Unis. Le renforcement militaire de l'UE doit donc être complémentaire de celui de l'OTAN, qui, à son tour, est complémentaire de la stratégie américaine. Elle consiste en fait à provoquer des tensions croissantes en Europe avec la Russie, de manière à accroître l'influence des États-Unis dans l'Union européenne elle-même.

Un jeu de plus en plus dangereux, car il pousse la Russie à se renforcer militairement, et de plus en plus coûteux. Ceci est confirmé par le fait qu'en 2020, au plus fort de la crise, les dépenses militaires italiennes sont passées de la 13e à la 12e place dans le monde, dépassant ainsi celles de l'Australie.

mardi, 02 mars 2021

Occident/Russie : déconnexion totale

post_thumbnail_canvas.jpg

Occident/Russie : déconnexion totale

par Alain RODIER

Ex: https://cf2r.org

Les néoconservateurs américains, suivis par leurs homologues européens, ont gagné. Il semble que les liens entre l’Union européenne et la Russie sont désormais bien coupés. Il reste bien le projet North Stream II, qui doit approvisionner l’Allemagne en gaz russe, mais nul doute que les lobbies vont tenter de le torpiller en imposant des sanctions aux entreprises qui y participent. Résultat, l’Allemagne risque de finir par être dépendante des énergies ayant reçu le blanc-seing des écologistes radicaux. En résumé, fourniture d’électricité par les centrales au charbon, appel au gaz de schiste américain et à divers apports extérieurs dont le nucléaire français.

L’inflexion de la politique étrangère américaine

Il convient de constater que la nouvelle administration en place à la Maison-Blanche applique la maxime : « America is back ! ». En attendant de s’attaquer au « dur » de sa politique étrangère – les relations avec la Chine et l’Iran -, Joe Biden a en tout cas trouvé là un slogan censé rompre avec son prédécesseur et indiquer la marche à suivre pour les prochaines années. Il convient que les États-Unis soient à nouveau « prêts à diriger le monde, pas à s’en éloigner, prêts à affronter nos adversaires, pas à rejeter nos alliés, et prêts à défendre nos valeurs. ».

Le programme est le suivant : le retour à l’ordre international tel que les États-Unis l’ont défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la doctrine du désengagement de guerres au faible rapport coût/efficacité voulue par Donald Trump, Biden propose une ancienne doxa modifiée à l’aune des « valeurs » progressistes dont il s’est fait le champion lors de sa campagne : le monde se porte mieux quand l’Amérique en assume la direction. Plus néoconservateur, on ne fait pas ! En premier lieu, il a pris le contre-pied de l’alliance passée par son prédécesseur avec l’Arabie saoudite emmenée par le prince Mohammed Ben Salman. La décision la plus spectaculaire a été le gel des livraisons d’armes à Riyad, engagé dans une longue guerre contre les insurgés houthis au Yémen. Il s’agit de « faire en sorte que les ventes d’armes par les États-Unis répondent à nos objectifs stratégiques » a souligné un porte-parole du département d’Etat, tout en qualifiant cette mesure de « routine administrative typique de la plupart des transitions. » le nouveau président a toutefois réaffirmé, le 26 janvier dernier, l’engagement de Washington « à aider notre partenaire, l’Arabie saoudite, à se défendre contre les attaques sur son territoire. » C’est que derrière l’effet d’annonce, le montage diplomatique bâti par Trump autour de la reconnaissance d’Israël et incluant désormais les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, mérite probablement d’être prolongé. D’autant plus que les Russes sont embuscade en mer Rouge, région éminemment stratégique où ils font les yeux doux au Soudan afin de trouver un point d’appui pour leur flotte.

ob_65d499_sacha-1.jpg

Joe Biden a également décidé de prendre le contre-pied de son prédécesseur concernant l’OTAN et, en particulier concernant la présence militaire américaine en Allemagne. Trump, qui avait de mauvaises relations avec la chancelière Angela Merkel, avait annoncé en 2020 vouloir diminuer d’environ 9 000 hommes ce contingent qui compte près de 35 000 militaires. Cette décision avait été présentée comme une sanction envers Berlin – mais aussi indirectement à l’encontre des autres pays membres de l’OTAN – accusé de ne pas mettre assez la main à la poche.

Le retour de l’« ennemi » russe

Surtout, Joe Biden semble décidé à remettre les pendules à l’heure avec la Russie suspectée d’ingérences multiples, lors des élections américaines et dans bien d’autres pays. Ce n’est pas le retour à la Guerre froide mais cela y ressemble furieusement avec une nuance que ne soulignent généralement pas les experts : le Kremlin ne veut plus envahir l’Europe pour la convertir au marxisme-léninisme. Pour Washington, le temps des « indulgences » est fini. Lors de son premier appel à Vladimir Poutine, Biden n’a pas hésité à aborder les sujets qui fâchent : le sort de l’opposant Alexeï Navalny et de ses partisans, le piratage d’institutions fédérales américaines, les récompenses offertes aux talibans afghans tueurs de soldats américains – selon des informations dont une partie est, au moins sujette à caution. Il y est même allé d’un avertissement à peine voilé : « J’ai clairement dit au président Poutine, d’une façon très différente de mon prédécesseur, que le temps où les Etats-Unis se soumettaient face aux actes agressifs de la Russie, l’ingérence dans nos élections, les piratages informatiques, l’empoisonnement de ses citoyens, est révolu. Nous n’hésiterons pas à en augmenter le coût pour la Russie et à défendre nos intérêts vitaux et notre peuple ». Ce discours est à l’évidence à usage interne car il n’a aucune chance d’être entendu puisque, pour les responsables russes, l’agresseur, c’est Washington.

201507221736_IHX8mc9AzMeiiK.jpg

Les médias pro-Biden – en particulier européens – ont applaudi, insistant beaucoup sur le soutien apporté aux « démocrates » russes. Vladimir Poutine a, comme d’habitude, gardé son calme, préférant se féliciter d’un accord ouvrant possiblement l’extension pour cinq ans du dernier traité de réduction des arsenaux nucléaires (New START), mais rien n’est encore signé : « Prenons d’abord connaissance de ce que les Américains proposent et nous ferons ensuite un commentaire » a tempéré, le porte-parole du président russe. Il sait qu’en dépit de l’enthousiasme quasi unanime affiché lors de la victoire de Biden, nombre d’Européens ne sont pas encore totalement soumis à Washington.

Plus grave encore, il semble, selon Moscou, que les néoconservateurs ont décidé d’exploiter l’affaire Navalny dans l’ambiance explosive crée par la pandémie de la Covid-19. Ces derniers espèrent, en jetant des milliers de manifestants dans la rue – chiffres pour le moment invérifiables -, provoquer une situation de chaos en Russie, dans le but de renverser le pouvoir en place qui ne leur convient pas car il n’est pas « aux ordres ». Cette manière de procéder est loin d’être nouvelle pour les États-Unis qui prennent toujours garde d’intervenir par proxiesinterposés.

La Russie est ainsi redevenue, que l’on le veuille ou non, l’« ennemi conventionnel » suite aux mesures prises par Washington.

Selon Arnaud Dubien, fin connaisseur de la Russie, « 2014 avait marqué la fin des illusions sur la convergence entre la Russie et l’Occident, processus généralement compris comme l’adoption par Moscou du modèle et des règles du jeu édictées à Bruxelles et Washington ». Autant dire un asservissement aux règles édictées par ces entités. Il est compréhensible que les Russes, de culture orthodoxe et encore imprégnés d’un héritage marxiste, aient été réticents à adhérer aux systèmes de pensée occidentaux jugés décadents et pervers.

Alors que doit répondre Moscou ? Toujours selon A. Dubien « ce qui s’est passé à l’occasion de la visite de Josep Borrell au début février à Moscou indique que la Russie n’est pas demandeuse de dialogue politique, en tout cas pas selon l’agenda et les modalités voulues par Bruxelles. Le Kremlin se sent fort, laissera venir et avisera ».

indexrussfoe.jpg

En résumé sur le plan politique, économique, culturel, etc. la Russie n’attend plus rien de l’Union européenne, considérée comme étant en train de se saborder, à tous points de vue. Peu à peu, ce qui était acheté en Europe est fourni localement ou, à défaut, importé d’autres pays, comme la Chine. Il ne pas se faire d’illusions, les agriculteurs européens en général et français en particulier ne vendront plus rien en Russie dans les années à venir.

Sur le plan militaire, les jeux de « gros bras » se poursuivent, l’OTAN et la Russie continuant à se tester mais sans intention de conquête de part et d’autre. La Pologne et les Etats baltes ont beau agiter la menace représentée par l’Ours russe – qui certes a récupéré la Crimée jugée comme vitale par le Kremlin -, la Russie ne va pas envahir ces pays. Par contre, il n’est pas exclu que Moscou agisse comme le fait Washington, en procédé à des « révolutions de couleur », en y organisant des troubles via des tiers (ONG, sympathisants) afin de maintenir les pouvoirs politiques locaux dans l’incertitude voire l’inquiétude.

Le Grand Nord, nouvel enjeu ?

Sans évoquer sur les opportunités économiques – en partie liées au réchauffement climatique – que beaucoup citent, jusqu’à présent, le Grand Nord était le terrain de jeu quasiment exclusif des bombardiers stratégiques russes.

Mais les forces américaines ont récemment montré leur intérêt pour cette région qui ne peut plus être considérée comme une « zone tampon » pour les États-Unis. En 2020, pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, l’US Navy a envoyé quatre navires (USS Donald Cook, Porter, Roosevelt et USNS Supply) en mer de Barents, point de départ des sous-marins russes opérant dans l’espace océanique appelée GIUK (Groenland/Iceland/United Kingdom), d’une importance capitale pour les liaisons maritimes entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

De son côté, l’US Air Force a mené plusieurs exercices dans la région, notamment en y dépêchant des bombardiers B-1 Lancer (qui n’ont plus de capacité nucléaire) qui ont survolé la Norvège et la Suède. En 2021, l’armée de l’air américaine a l’intention de déployer quatre de ces appareils en Norvège. Ils seront stationnés sur la base aérienne d’Ørland. Cette mission devrait officiellement améliorer l’interopérabilité avec les alliés et les partenaires de Washington en Europe et habituer les forces aux opérations dans le Grand Nord. « La disponibilité opérationnelle et notre capacité à soutenir nos alliés et nos partenaires et à réagir rapidement sont essentielles au succès », a déclaré le général Jeff Harrigian, commandant des forces aériennes américaines en Europe et en Afrique. « Nous apprécions le partenariat durable que nous avons avec la Norvège et attendons avec impatience les opportunités futures pour renforcer notre défense collective », a-t-il ajouté.

*

Force est de constater que la rupture Occident/Russie est consommée. Elle était prévisible. Il y a déjà longtemps que Moscou a retiré ses observateurs de l’OTAN. Le divorce est également acté avec l’Union européenne, suite au récent voyage de Josep Borell à Moscou et au les prochaines sanctions prévisibles suite à l’affaire Navalny.

lundi, 01 mars 2021

Grande coalition bancaire

0602112915682-web-tete.jpg

Grande coalition bancaire

par Georges FELTIN-TRACOL

Dans une actualité monopolisée par le covid-19, l’événement est presque passé inaperçu en France. La Belgique exporte en Italie sa coalition « Vivaldi ». En effet, le 13 février dernier est entré en fonction le 67e gouvernement de la République italienne sous la direction de l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi. Il s’agit aussi du troisième gouvernement investi sous la XVIIIe législature élue en 2018.

Cette législature commença avec l’entente populiste jaune – verte entre le Mouvement Cinq Étoiles (M5S) et la Lega. Puis, en 2019, les impatiences de Matteo Salvini et les nombreuses réticences de l’aile gauche des Cinq Étoiles provoquèrent la rupture de cette alliance paradoxale. L’intervention du fondateur du M5S, Beppe Grillo, sauva le mandat de ses parlementaires en négociant avec les « rouges » du Parti démocrate (PD). Giuseppe Conte resta à la tête d’un nouveau gouvernement M5S – PD. Or le PD connut une scission en septembre 2019 orchestrée par l’ancien Premier ministre Matteo Renzi, créateur d’Italia Viva (IV). Le 11 janvier 2021, IV se retira de la coalition rouge – jaune et mit en minorité au Sénat le second gouvernement Conte.

Après quelques tractations de façade, le président de la République, Sergio Mattarella, chargea Mario Draghi de bâtir une nouvelle majorité parlementaire. L’élection biaisée de Joe Biden a dès à présent des répercussions internationales, tout particulièrement en Italie dont la souveraineté demeure plus que jamais limitée. Fort de son profil d’indépendant et de son aura de technicien hors-paire des arcanes économiques et financières, Mario Draghi se révèle incontournable. Son atlantisme, son mondialisme, son européisme et son financiarisme en font dès lors l’homme fort d’une nation bien affaiblie.

Le « magicien » Draghi parvient à constituer une majorité de 545 députés sur 630 et de 266 sénateurs sur 321. Comment ? Il contraint les principales forces politiques à s’entendre autour de sa nomination. Son gouvernement repose sur un large accord transpartisan : il rassemble le M5S, le PD, IV, les éco-socialistes de LeU (Libres et Égaux), mais aussi Forza Italia de Silvio Berlusconi et la Lega de Salvini. Il faut toutefois signaler que Giorgia Meloni de Fratelli d’Italia en progression constante dans les sondages se réserve pour l’heure entre l’abstention et l’opposition active.

Governo_Draghi.jpg

L’équipe ministérielle de Mario Draghi compte 23 ministres (15 hommes et 8 femmes). Les indépendants sont les plus représentés (dix). Outre la présidence du Conseil, ils occupent les ministères de l’Intérieur, de la Justice, de l’Éducation, de l’Environnement et de l’Économie et des Finances. Le M5S conserve quatre ministères (les Affaires étrangères, les Relations avec le Parlement, la Jeunesse, l’Agriculture et l’Alimentation). Forza Italia prend les portefeuilles de l’Administration publique, des Relations avec les régions, du Sud et de la Cohésion territoriale. La Défense, la Culture et le Travail reviennent au PD. La Lega obtient le Développement économique, le Tourisme et le Handicap.

En entrant dans un gouvernement conduit par Mario Draghi, le M5S et la Lega renoncent à leurs origines populistes et confirment ainsi leur intégration dans le Système partitocratique. Il est maintenant possible que les députés européens liguistes délaissent prochainement le groupe Identité et Démocratie cofondé avec le RN, le FPÖ, l’AfD et le Vlaams Belang.

L’exemple politique italien est à suivre avec attention pour la situation française découlant de l’élection présidentielle de 2022 si le scrutin n’est pas reporté sine die. Réélu, Emmanuel Macron ne pourrait plus disposer d’une majorité, même relative, au Palais-Bourbon. Ne souhaitant pas gouverner avec les reliquats d’une gauche élargie aux Verts divisée contre elle-même, il pourrait nommer à la place de Jean Castex, Valérie Pécresse, Christian Estrosi, Xavier Bertrand, voire – audace suprême – Marine Le Pen elle-même. La présidente du Rétrécissement national poursuit par ailleurs sa reptation devant le Système. Elle a renoncé à toute sortie de l’euro et rejette le Frexit. Elle vient d’entériner les accords de Schengen et prône toujours une assimilation républicaine suicidaire pour les Albo-Européens.

Il ne fait guère de doute que les « grandes coalitions bancaires » à la mode italienne ont un bel avenir en Europe.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 203, mise en ligne sur TVLibertés, le 23 février 2021.

Du "Monde harmonieux" au "rêve chinois" - La Chine et sa stratégie de sécurité

1029599499_0 0 3000 1620_1000x541_80_0_0_a53d0955c61a1e02bb5a030347a0e082.jpg

http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/du-mon...

Du "Monde harmonieux"

au "rêve chinois"

 

La Chine et sa stratégie de sécurité

 

par Irnerio Seminatore

 

Texte reparti en deux sous-titres:

I. La Chine et sa stratégie de sécurité.Un nouvel équilibre entre défense modernisée, guerre asymétrique et stratégie militaire

(première partie)

II. La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

(deuxième partie, à paraître le 7 mars prochain)

****

TABLE DES MATIÈRES

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

De la "défense passive en profondeur"(Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La puissance nationale comme stratégie

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

L'asymétrie, son concept et sa définition

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE ? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues
L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

***

3XWZ5JZSqdIA67bMVGFRzJ.jpg

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

La rivalité entre Beijing et Washington, en raison du Covid 19, a pris un tour plus idéologique et oppose désormais deux modèles politiques, autocratique et autoritaire et pluraliste/libéral. Cette opposition impressionne le monde entier et révèle un regain d'attraction pour les régimes d'ordre, d'efficacité et de décision. Elle offre l'exemple d'une volonté qui obéit à un principe premier, celui de la sécurité et à un grand dessein, celui de la renaissance nationale et de l'avenir.

La montée en puissance de la Chine, depuis la fin de la guerre froide, en termes économiques, politiques, diplomatiques et militaires, fera de celle-ci, selon nombre d' observateurs, le plus grand protagoniste de l'histoire mondiale.

Cette émergence est susceptible de produire une inversion du rapport de prééminence entre les États-Unis, puissance dominante établie et premier empire global de l'histoire et la Chine," Empire du milieu" ou État-civilisationnel, vieux de trois mille cinq cents ans et fort d'un milliard-quatre cents millions d'hommes.

De la "défense passive en profondeur" (Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La Chine, dans le cadre d'un système international multipolaire concentre ses ressources sur le développement de capacités asymétriques, dans le but de les moderniser et de devenir un joueur de premier plan dans la sécurité régionale de l'Asie Pacifique, de l'Asie Méridionale et de l'Indo-Pacifique. En particulier et conformément à sa tradition philosophique et combattante, à penser et agir différemment des adversaires pour acquérir une plus grande liberté d'action. Ceci s'est traduit par l'adoption d'une doctrine de modernisation de l'APL, à l'époque de la menace d'affrontement avec les deux superpuissances de la bipolarité, les États-Unis et l'Union Soviétique, qui a eu pour but de se préparer à mener une guerre totale, émergente et nucléaire afin d'assurer la survie de la nation. Plus tard, l'approche stratégique a évolué et s'est définie comme capacité de mener et de vaincre des "guerres locales", conçues comme des guerres limitées, en conditions d'informatisation et de haute technologie. Au lieu de la "défense passive" en profondeur, qui fut celle énoncée par Mao, dans la période de la " guerre du peuple" et dictée par une infériorité en capacités et ressources, la Chine de Deng Tsiao Ping, passa à la formulation d'une "défense active" dans des "zones de guerre" vers les frontières. Pour se préparer à ce type de conflit contribuèrent singulièrement les observations de la guerre du Golfe en 1991, de l'attaque de l'Otan contre Belgrade, en 1999 et de l'invasion américaine de l’Afghanistan en 2001. La direction politique et militaire de la République Populaire de Chine conclut de ces observations que l'attribution des ressources du pays pour tous les scénarios de guerre possibles était insoutenable et devait être déterminée par la spécificité du contexte international. Conformément à l'idée que le meilleur système pour vaincre est de gagner par des stratagèmes, la conception du pouvoir chinois comme "faisceaux stratégique", imposa à la Chine d'analyser sérieusement les forces et les faiblesses de son adversaire principal, afin d'établir sa propre stratégie en termes de guerre asymétrique.

PLA-NAVY.jpg

La puissance nationale comme stratégie

Le point-clé de cette conception du pouvoir repose dans la conception de la "puissance nationale", en terme de capacités d'élaboration stratégique en fonction des diverses éventualités historiques. La puissance ne peut résulter de ce fait que de la spécificité entre stratégie et environnement de sécurité. Historiquement ceci s'est traduit par une défense fixe, la Grande Muraille, face à la cavalerie nomade et mobile qui attaquait la Chine du Nord et de l'Ouest. Ce choix a renforcé la puissance relative de la Chine de l'époque, en termes de fortification et d'organisation logistique. Aujourd'hui la stratégie de "défense active" repose sur la création d'une "force de dissuasion" allégée et efficace (facteur stabilisant à l'image de la Grande Muraille) et sur l'utilisation flexible d'autres moyens dissuasifs, de prévention, d'arrêt ou de projection, ce qui exige une coordination très étroite entre lutte militaire et lutte politique, diplomatique,économique et culturelle. Il s'agit d'assurer la constitution d'une combinaison de moyens et de ressources, en vue du façonnement d'un environnement de sécurité fiable. Ainsi les stratégies mises en œuvre, détermineraient -selon Sun Tzu, les résultats escomptés, selon une série de stratagèmes de situation, avantageux ou désavantageux (d'attaque, de proximité, de défaite ou de chaos..) C'est pourquoi l'étude de l'environnement est primordial.

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

La conclusion fut que, vis à vis de l'Amérique, le concept chinois le plus approprié était de "vaincre le supérieur avec l'inférieur". L'étude de l'adversaire parvint au résultat d'identifier sa faiblesse, là même où se trouvait sa force et à saisir ses points vitaux, en sa dépendance des systèmes d'information. Ainsi, pour gagner ce type de guerre, la Chine se devait d'exceller dans des opérations conjointes intégrées, impliquant le système de commandement, le système de formation, le soutien inter-armées et la composition des forces. Ces opérations exigeaient une coordination entre lutte militaire et efforts politiques, diplomatiques, économiques et culturels et prévoyaient d'assumer, pour la modernisation de l'armée, la mécanisation comme fondement et l'informatisation comme objectif. Par ailleurs la Chine, poursuivant une compétition acharnée vis à vis des États-Unis, ne s'est jamais détournée des enseignements de Sun Tzu, pour lequel un concept capital impose de se connaître soi même, afin de connaître son adversaire. Concrètement il s'agissait d'identifier les facteurs qui aident à déterminer l'issue de la guerre et ces facteurs reposaient sur la vulnérabilité des avantages de l'ennemi. Pour le neutraliser il fallait une combinaison et un lien interactif entre trois types d'asymétrie, celle de la guerre totale prolongée, de la stratégie asymétrique de la guerrilla et de l'organisation logistique des combats. Dans la phase actuelle, et, pour éviter l'épuisement et la faillite d'un pays aux ressources limitées, s'engageant dans une course aux armements tous azimuts, comme le fit l'Union Soviétique, la clé du succès se trouve dans le principe de "vaincre le supérieur par l'inférieur", autrement dit, dans l'acquisition de la supériorité par l’information, avant d'acquérir la supériorité des airs et de la mer. En contrôlant certains secteurs-clés des opérations militaires l'Armée de Libération Populaire, inférieure en capacités, pourrait neutraliser la supériorité de son antagoniste principal, par la dissuasion ou encore par la destruction de ses forces de combat.

11346467-18907537.jpg

Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

En conditions de crise aggravée, une attaque préventive par l'acteur inférieur contre les centres nerveux et logistiques de l'acteur étatique supérieur,neutralise les avantages de ce dernier, en renversant la situation et la donne.La saisie des points vitaux du système d'information de l'adversaire demeure en somme l'idée de base de la "guerre d’acupuncture", qui vise à neutraliser l'avantage de l'ensemble des systèmes. La guerre d'information asymétrique d'acupuncture ne connaît pas de frontières, militaires, économiques et sociales. Elle est "of limits". Chaque aspect de cette guerre dépend strictement de l'information et celle-ci des satellites spatiaux, des systèmes d'alerte aériens rapides, d'avions de guerre électroniques et de sites de commandement au sol. Selon le recours à l'image de la guerre d’acupuncture, ces points d'information cruciaux constituent des "points d'énergie vitaux". Ils dépendent tous de réseaux informatiques. Ainsi, au delà de l'espace traditionnel de combat, aérien, terrestre et naval, les nouveaux espaces de la victoire, se situent dans le cyberespace et dans l'espace électromagnétique, où il faut disposer des armes à laser, des armes à faisceaux de particules, des armes à très haute fréquence, des armes d'ondes ultrasoniques, subsoniques, furtives, à radiation, de virus informatiques puissants, de robots intégrants des nanotechnologies, de telle sorte que, pour gagner dans l'espace eso-atmosphérique, il faut disposer d'un concept de guerre intégrée en réseau électronique. Ces nouvelles dimensions de la guerre et ces nouveaux moyens d'attaque ont des implications décisives dans le combat terrestre, aérien et maritime, car l'issue du combat vient par le haut. Seul le combat éso-atmosphérique permet d’acquérir et de maintenir la supériorité au niveau inférieur. La Chine en a tiré un enseignement ferme, consistant à développer, de manière accélérée ces secteurs-clés, comme centres névralgiques des guerres locales ou totales et a investi massivement dans trois secteurs: les armes antisatellites, les opérations de réseau informatiques et les missiles anti-navires. Dans un contexte stratégique en pleine évolution, la Chine a testé une arme d'ascension directe antisatellite, lui permettant de dissuader l'ennemi de recourir au combat, de frapper d'importantes sources d'information et d'ébranler la structure de son système d'information.

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

Après la fin de guerre froide la Chine a déployé un système de défense antimissiles stratégiques, qui représente un défi pour la dissuasion nucléaire américaine, sur laquelle se fonde la crédibilité du parapluie nucléaire étasunien, recouvrant une trentaine de pays alliés. En dehors de la recherche de supériorité, visant à refuser l'accès aux informations essentielles, pour mener des actions de combat dans une guerre locale et, éventuellement dans le détroit de Taïwan, une autre capacité cruciale des États-Unis est concernée. Il s'agit de leur principale plate-forme de projection de puissance, les porte-avions. D'où l'effort de la Chine de développer des missiles balistiques anti-navires, dont l'opérationnalité bouleverserait le calcul des conflits potentiels entre la République Populaire de Chine et les États-Unis. Un changement significatif dans l'équilibre des pouvoirs en résulterait dans toute l'aire du Pacifique. Au niveau local, le test de ce nouveau missile anti-navires rajoute une pièce essentielle à la stratégie de déni, ou anti-accès. Ainsi l'espoir de neutraliser les avantages acquis par la Chine dans un domaine-clé, s'accompagne de la possibilité de l'emporter dans un conflit limité, par la dissuasion, la négation d'accès ou la destruction des capacités de l'adversaire. Or, les efforts de modernisation poursuivis, se focalisant sur la capacité de saisir la supériorité dans l'information, concrétisent la conception de l'asymétrie du programme de défense de la Chine, dans le domaine opérationnel, plus que doctrinal. Cette conception de l'asymétrie commande à une appréciation psycho-politique de la force relative entre la Chine et ses adversaires ou rivaux, seuls ou coalisés, et est susceptible de pencher vers un excès de confiance. Un excès qui constitue un frein, pour parvenir à des solutions négociées. De façon générale l'acquisition de la supériorité dans la stratégie de contrôle des secteurs-clés repose sur le principe d'initiative, comme facteur de vie ou de mort dans les guerres de hautes technologies, dans lesquelles la frappe inattendue et en premier, exige de dissimuler les véritables intentions des deux parties.

4282eaee3405748ab03dd94d32e4a006.jpg

L'asymétrie, son concept et sa définition

Puisque l'asymétrie touche au domaine des différences sur le terrain de l'organisation, de l'équipement et de la doctrine, le concept opératoire d'asymétrie va de la différence à une "opposition diagonale", par rapport aux capacités de l’adversaire. Or lorsque l'écart de capacités militaires est considérable, l'acteur le plus faible adopte des stratégies et des méthodes militaires non conventionnelles, qui diffèrent significativement du mode d'opposition et de combat attendus. L'asymétrie de conception et de forces doit se traduire en une plus grande liberté d'action et être politico-stratégique, opérationnel ou mixte, comportant des perspectives temporelles et opératoires différenciées, appliquées délibérément ou par défaut. Suivant cette définition, très générale, l'asymétrie opérationnelle rendue possible par l'interaction de technologies et d'organisations, conditionne l'asymétrie stratégique et sa traduction doctrinale. En venant à la politique de sécurité d'un acteur étatique, celle-ci dépend de sa lecture et de sa perception de l'environnement et donc du type de guerre destiné à assurer la survie de la nation (guerre totale) ou, en revanche une victoire périphérique ou locale dans un conflit limité, où la survie nationale n'est pas en cause.

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

En son pur concept l'asymétrie a affaire à la théorie, aux pratiques stratégiques et à ses formes historiques. Dans le "Livre des mutations" de la deuxième moitié du du VIIIème siècle av.J.C. et dans les écrits sur les guerres irrégulières du IVème siècle de Sun Tzu, l'asymétrie apparaît comme l'action violente d'une force irrégulière contre une force majeure établie, qui a pour but l'effondrement d'un système de pouvoir et de pensée. Elle frappe par la surprise, la brutalité et l'imprévisibilité. Elle affecte, par son impact psychologique, la volonté, la capacité d'initiative et la liberté d'action. En ses conséquences, elle produit l'effondrement de l'ennemi, par la déstabilisation de son dispositif et le renversement de ses paradigmes, dans la quête d'une issue. Elle se situe sur la ligne de jonction névralgique entre points faibles et points forts, qui lie la tradition à l'innovation. L'asymétrie n'a de sens que comme inversion du risque et n'a de symbole que dans le déséquilibrage, la paralysie et la chute. En termes de rupture, elle comporte un arbitrage historique sur la pérennité de l'autorité ou du pouvoir systémique et un arbitrage politique, dans l'orientation des opinions et des masses. L'asymétrie oppose, en tant que concept, l'ordre institutionnel au désordre insurrectionnel. et consacre l'effondrement du crédit de la force militaire au nom de la transformation du cadre stratégique et de la mutation du visage de la guerre. Paradoxalement, la fin de la guerre froide a fait apparaître un décalage de puissance entre les États-Unis et les autres acteurs, réguliers et irréguliers, de la scène internationale et cet écart capacitaire, culturel et politique, a été à l'origine de la résurgence de l'asymétrie. Le déplacement de la logique de l'affrontement vers le champ où la force militaire classique n'est plus le facteur décisif, fait découvrir que l'ennemi ne combat plus avec nos règles. Il est "hors limites" et il adopte d'autres modalités d'affrontement. Il apparaît dès lors à tous les analystes que la supériorité absolue est devenue une vulnérabilité et un objectif de combat. En réponse les États-Unis découvrent qu'une modification du visage de la guerre entrave le rendement optimal de l'appareil militaire classique et que, à côté de nos sociétés, démilitarisées,apparaissent trois phénomènes parallèles, "les conflits hybrides", "les insurgés innovants" et un autre "rapport à la mort". Quelles sont alors les guerres probables? Quelles sont les structures capacitaires et stratégiques défendables et praticables? Quel est le nouveau visage de la guerre?

hkpla0806_03_960x540.jpg

Puisque le modèle de la stratégie dominante des deux derniers siècles a été celui de Clausewitz, la puissance de la terre qu'est Chung Kuo' se prépare à une politique d'affrontement par une logistique, qui peut adopter Clausewitz sur terre, en cas de guerre conventionnelle, Mahan, sur les deux Océans, Pacifique et Indo-Pacifique, et Sun Tzu dans l'hypothèse d'un double front de combat, terrestre et maritime. Dans ce contexte la logistique du système "One Belt, One Road" devient l'élément décisif de l'épreuve de force probable entre les puissances de la terre et les puissances de la mer, au Nord, au Sud et à l'Ouest du continent européen. Mais dans cette lutte à mort pour la survie historique, les Américains ont compris que les chinois ont lancé un "défi stratégique de l'intérieur" de l'Eurasie et qu'ils devaient porter le "défi des régimes" à l'intérieur du système géopolitique et du monde des idées chinois (Hong-Kong ,Taïwan, Ouïgours). "Double spirale des défis" sur lesquels reposera le "duel du siècle" et l'histoire de l'avenir.


Bruxelles, le 1er février 2021

(deuxième partie, à paraître le 7 mars prochain)